Pressé(e) ? Découvrez la biographie courte de Berg
Né le 9 février 1885 à Vienne, Alban Maria Johannes Berg est le troisième des quatre enfants de Johanna et de Conrad Berg qui mènent une vie aisée, du moins jusqu’à la mort de ce dernier en 1900. Vers cette époque (il a 15 ans), Berg commence à composer en autodidacte (c’est de là que datent environ 80 Lieder) après s’être davantage intéressé à la littérature. C’est cependant l’année 1904 qui va être déterminante pour Berg : il doit travailler et gagner de l’argent car la situation familiale l’exige. Il trouve alors un emploi dans l’administration, et surtout rencontre Arnold Schönberg.
Il n’a reçu qu’une éducation minime à la musique. Il est donc fort intéressé par une annonce proposant « d’enseigner aux musiciens de profession et aux amateurs les bouleversements et les nouvelles possibilités dans les domaines théoriques de la musique. Enseignants : Arnold Schoenberg (harmonie, contrepoint), Alexander von Zemlinsky (enseignement des formes et composition), Dr Elsa Bienenfeld (histoire de la musique) ». Il n’en faut pas plus à Berg pour se décider : il décide de montrer à Schoenberg ses Lieder. Il commence quelques jours plus tard et travaille d’arrache-pied.
La situation de Berg, précaire, va être bouleversée par un événement important : le décès de sa tante Julie qui apporte à la famille, en héritage, un important patrimoine immobilier. Berg en aura la gestion, ce qui lui permet de démissionner de l’administration. il peut désormais participer activement à la vie musicale du cercle de Schoenberg. Avec le maître, il compose de nombreuses œuvres (Sieben frühe Lieder : "Sept chants de jeunesse",...) dont trois seront publiquement représentées en 1907 lors d’un concert mettant sous les feux de la rampe les élèves de Schönberg. La Sonate pour piano op.1 (1907-1908) résume à elle seule l’enseignement du maître, qui touche à sa fin avec le Quatuor op.3 (1910) qui n’est déjà plus l’œuvre d’un élève. Schoenberg, touché par la mort de son idole Gustav Mahler en 1911, va d’ailleurs à cette époque se détacher de ses amis et de la vie musicale viennoise au profit de Berlin.
Berg a maintenant 26 ans ; il est devenu un homme et accomplit des travaux de copiste et de musicologie car il veut vivre de la musique et non de l’immobilier. En 1906, il rencontre Hélène Nahowski, chanteuse issue d’une famille aisée. Mais, un peu comme chez Shakespeare, la famille Nahowski s’oppose à l’union des deux jeunes gens, qui se marient cependant le 3 mai 1911. Berg consacre sa nouvelle indépendance à la musique (et bien sûr à l’heureuse élue). Les "5 chants sur une carte postale" (textes de Peter Altenberg), composés en 1912, sont créés l’année suivante par Schönberg mais causent une émeute qui fera interrompre la représentation. Il faudra attendre... 1952 pour qu’ils soient rejoués entièrement, et 1966 pour leur première publication intégrale !
La Grande Guerre occupe le musicien de 1915 à 1918 (il sert dans l’armée autrichienne) mais il profite d’une permission en 1917 pour commencer à écrire son premier opéra, Wozzeck, d’après la pièce de Büchner à laquelle il a assisté en 1914. Il reprend l’écriture de la partition en 1921 et la termine à la mi-octobre. Quelques extraits (en 1924) rencontrent le premier succès public de Berg ; l’opéra ne sera entièrement représenté que le 14 décembre 1925 par Erich Kleiber à Berlin : c’est un véritable succès qui permet à Berg de s’installer définitivement dans le monde musical.
L’année de création de Wozzeck, Schoenberg fait part à ses élèves de sa nouvelle découverte : le dodécaphonisme. Berg l’utilise pour écrire son Concerto de chambre. Il compose ensuite la Suite Lyrique, œuvre très chargée émotionnellement. Créée en 1927 à Vienne, elle connaît un succès éclatant.
Berg a maintenant quarante-cinq ans. Sa vie est sans remous apparents. Il donne des cours particuliers à des élèves choisis, tel Adorno. Il entreprend l’écriture d’un nouvel opéra, Lulu, qui retrace les splendeurs et misères d’une courtisane amorale. Le travail progresse lentement, car Berg se demande comment écrire une telle œuvre à partir d’une série unique. Il espère l’achever pour l’été 1934, mais entre temps, sa situation matérielle le pousse à accepter une commande : un concerto pour violon et orchestre. Le décès de Manon Gropius le 22 avril 1935, la fille de son amie Alma Mahler, bouleverse Berg et le concerto, écrit en quatre mois seulement, sera intitulé « à la mémoire d’un ange ».
Berg se remet à Lulu dont il lui reste à travailler l’instrumentation. Mais il meurt le 24 décembre 1935, tué par une simple piqûre d’insecte qui engendre un abcès au dos, bientôt compliqué en septicémie (les antibiotiques seront inventés quatre années plus tard…). Lulu n’est pas achevé, et sa femme interdit publiquement et ce jusqu’à sa mort que l’opéra soit terminé. L’orchestration sera achevée par Friedrich Cerha, et l’œuvre complète sera enfin créée le 24 février 1979 à l’Opéra de Paris sous la direction de Pierre Boulez.
Louis Krasner est un jeune violoniste virtuose de 32 ans déjà célèbre. Croyant dans l’avenir du dodécaphonisme, il commande un concerto à Berg. Le compositeur est d’abord peu favorable au projet mais le virtuose lui lance un défi : sera-t-il capable de mettre le dodécaphonisme, procédé essentiellement cérébral, au service d’une écriture lyrique, et d’une expression de sentiments à l’égal de la musique tonale ? Piqué au vif, Berg relève le défi (d’autant qu’il traverse une période de difficultés financières). Mais il ne sait pas encore quelle forme donner à son concerto. Un événement tragique donnera un contenu et une âme à son projet.
La mort soudaine le 22 avril 1935 de Manon Gropius, fille d’Alma Mahler et de l’architecte Walter Gropius des suites d’une poliomyélite affecte profondément Berg, ami proche d’Alma. Bouleversé par le décès de « Mutzi », cette jeune fille de 18 ans à peine, Berg décide de donner à son concerto le caractère d’un requiem à sa mémoire, « à la mémoire d’un ange », et le conduit à composer une œuvre sensible et émouvante. Le 16 juillet 1935, Krasner reçoit une lettre dans laquelle Berg lui écrit : « Hier j’ai terminé la composition de notre Concerto pour violon. J’en suis sans doute plus surpris que vous ne le serez. À dire vrai, je m’y suis intéressé comme à peu de choses dans ma vie, et je dois ajouter que cette œuvre m’a donné de plus en plus de joie. J’espère, non, je crois en toute confiance avoir réussi. » (écouter un extrait)
Le compositeur réintroduit des accords tonals au sein du langage dodécaphonique et renoue avec le passé en citant un choral de Johann Sebastian Bach (« Il suffit de le prendre Seigneur mon esprit »). Krasner dira bien plus tard ces paroles étonnantes : « Bach a écrit [ce choral] de sorte que Berg puisse le trouver et Berg a écrit son concerto de sorte que Bach puisse écrire son choral. » À ses yeux, il était évident que les deux pièces étaient nées en même temps, en communion l’une avec l’autre.
Alban Berg est un être et un musicien complexe et plein de contradictions : il est attaché au passé mais il ouvre les voies de la musique nouvelle ; il est fasciné par la pourriture et la prostitution, mais il a le goût de l’ordre. Dans sa musique, il compense les débordements expressionnistes par le recours à la numérologie et par de constantes références aux formes anciennes qui servent de carapaces à ses recherches. Ainsi, il fait entrer chaque scène de son opéra Wozzeck (1917-1922) dans une structure précise : fugue, passacaille, sonate, scherzo, rondo, invention sur 1 seule note... (écouter le Meurtre de Marie et Au cabaret).
Sa fortune personnelle lui permet de mener une vie de grand bourgeois mais, dans ses deux opéras, Wozzek (1917-1922) et Lulu (1929-1935, inachevé), il traite de drames humains chez de petites gens. Il révère Gustav Mahler mais se met à l’école de Schoenberg. Exemple : Concerto de chambre pour 15 instruments (1925 : écouter le début du 1er mvt). Il adopte les règles dures et strictes du dodécaphonisme mais s’accorde de larges libertés avec le système et n’abandonne jamais un sentiment tonal. Dans son Concerto pour violon, à la mémoire d’un ange (1935), il cite même un choral de la cantate BWV 60 de Bach (écouter un extrait du 2nd mvt).
C’est sûrement cette alliance du passé et du futur qui a fait de Berg le plus populaire des trois grands de ce qu’on appellera la seconde École de Vienne (Schönberg, Berg, Anton Webern). Ne dit-on pas : « La plus belle œuvre de Schönberg, c’est Alban Berg » ?