Bernart (oui oui, ou Bernard, mais c’est pour nous démarquer de la concurrence) de Ventadour est né vers 1125 à Ventadour, et mort vers 1195 à l’Abbaye de Dalon. C’est un des plus célèbres troubadours (poètes et musiciens d’origine noble, de langue d’oc et vivant dans le sud de la France).
Les quelques éléments de sa vie ne nous sont connus qu’à travers le texte de la vida écrite un demi-siècle plus tard par un autre troubadour. Il fut probablement formé par son seigneur Guillaume IX d’Aquitaine qui l’instruisit dans l’art de la composition lyrique dite trobar. Sa poésie est considérée comme l’une des expressions les plus achevées de la langue d’oc.
Peut-être fils bâtard de Guillaume d’Aquitaine, il devient le disciple de son supposé père et l’un des meilleurs représentants de l’amour courtois (fin’amor en occitan : écouter La douce voix du rossignol). Adopté par le seigneur de Ventadour, il aurait composé ses premiers chants pour la femme du fils de ce seigneur… ce qui lui vaut d’être chassé sans ménagement du comté de Ventadour.
Il est ensuite accueilli à la cour d’Aliénor d’Aquitaine, dont il tombe amoureux. Mais elle épouse le roi Henri II Plantagenet, duc de Normandie et comte d’Anjou et suit son mari en Angleterre. Peut-être Bernart de Ventadour l’a-t-il accompagnée car il aurait assisté au couronnement du roi d’Angleterre en 1154. Dépité par son amour malheureux, il revient en France où il séjourne à la cour de Toulouse, puis à Narbonne. À la fin de sa vie, il finit par rejoindre l’ordre de l’abbaye de Dalon après la mort du comte de Toulouse en 1194. Il y achève sa vie comme moine, ayant abandonné la création de chansons et renoncé aux plaisirs de la vie.
On a certes toujours chanté l’attente amoureuse, mais les troubadours vont plus loin : dans la logique de la société féodale du XIIe siècle, ils font de la femme une suzeraine, de son soupirant un vassal. Bernart de Ventadour invente notamment l’idée de joie d’amour : « Mon amour pour elle est si parfait, que souvent aussi j’en pleure, car les soupirs sont pour moi une plus douce saveur que la joie » (écouter Mon cœur plein de joie). Mais cette exaltation sentimentale, qui transcende le désir en spiritualité, a aussi son versant funeste quand la dame prend l’image d’Ève, cause du péché initial de l’homme.
Il faut aussi souligner qu’au-delà de la quête mystique, l’amour courtois représente à l’époque, avec la chasse, une solution pour assagir les instincts guerriers de la chevalerie. Le résultat est une abondance de pièces où les troubadours exaltent les charmes d’une dame inaccessible et la passion qui les consume. Ce romantisme avant l’heure aura une influence profonde sur la conception moderne de l’Amour. Pour preuve, on pourrait citer les nombreux drames qui mettent en scène un amour contrarié : Didon et Énée, Orphée et Eurydice, Tristan et Yseult, Roméo et Juliette, Pelléas et Mélisande, etc.
Bernart de Ventadour nous laisse quarante-cinq chansons : ces courts poèmes amoureux sont traditionnellement divisés en trois cycles qui célèbrent trois dames différentes. Il compose également sa propre musique, dont vingt airs sont conservés dans des manuscrits : c’est considérable étant données les destructions causées par la croisade contre les Albigeois qui a dispersé les troubadours et détruit de nombreuses sources. Ses chansons au style riche et limpide, sont nourries de sentiments personnels et font allusion aux personnages historiques : le roi d’Angleterre, le comte de Toulouse. On le considère comme l’un des meilleurs musiciens de son temps et parmi les plus grands poètes de l’amour en langue d’oc.
Ses œuvres à la fois simples et délicates, sont largement diffusées par les jongleurs et les ménestrels itinérants. De sorte qu’elles ont été imitées et reproduites pendant toute la seconde partie du XIIe siècle. Il est souvent considéré comme l’influence la plus importante sur le développement au siècle suivant de la tradition des trouvères dans le nord de la France où il était bien connu. Son influence est également reconnue en Italie. En 1215, un érudit bolognais, Boncompagno, écrit dans son Antiqua rhetorica : « Une grande renommée est attachée au nom de Bernart de Ventadour car les chansons qu’il a composées font sa gloire dans toute la Provence ».