Pressé(e) ? Découvrez la biographie courte de Scriabine
Alexandre Nikolaïevitch Scriabine naît le 6 janvier 1872 à Moscou, d’un père diplomate et d’une mère pianiste talentueuse. Sa mère, Lioubov Petrovna Tchétinina, décède hélas l’année suivante, à 23 ans, d’une violente hémorragie cérébrale. Alexandre est donc éduqué par sa grand-mère et surtout sa tante, qui s’en occupera avec un amour et un dévouement extrêmes. Elle lui apprend le piano et lui transmet l’amour de la musique. À neuf ans, il joue déjà du piano de manière remarquable, vouant pour l’instrument une totale vénération. Sa tante le présente à Anton Rubinstein, grand pianiste et compositeur de l’époque, qui prédit une grande carrière au jeune prodige.
En 1882, son oncle le fait entrer à l’Ecole militaire de Moscou, en lui permettant un régime de faveur, puisqu’il est dispensé des exercices militaires et qu’il peut jouer au moins deux heures par jouer du piano. À partir de 1883, il a un premier vrai professeur de piano et reçoit des cours d’harmonie et de contrepoint. C’est aussi l’époque à laquelle il compose ses premières œuvres (pour piano bien sûr) : il a 11 ans. Il rencontre Serge Rachmaninov, qui a 10 ans, il se lie avec lui d’une amitié qui se prolongera au Conservatoire de Moscou où il entre en 1888.
En 1892, il sort du conservatoire et entame une carrière de pianiste. Il continue cependant à composer : ses premiers opus sont publiés. Mais fin 1893, il se blesse à la main droite qui se trouve partiellement paralysée. Il bascule alors dans une dépression profonde qui durera trois ans (par chance, cette maladie lui permettra d’être exempté du service militaire). Cette période de handicap est pour lui une période de doute intense qui lui fait choisir la voie de la composition. Une fois ses capacités pianistiques retrouvées, il décide de reprendre une carrière de pianiste, mais il n’interprètera que ses propres compositions.
Comme Rachmaninov, il appartient (du moins à ses débuts) à une nouvelle musique russe influencée par Chopin, Liszt et Wagner. Exemple : la fameuse Étude pathétique (vers 1890 : écouter). Il vit de ses concerts en Europe et aux États-Unis. Des périodes euphoriques alternent alors avec des malaises, des pensées sombres, et de violentes névralgies.
En 1897, il se marie avec Vera Ivanovna Issakovitch, brillante pianiste du conservatoire moscovite, dont il a une fille l’année suivante. Une nouvelle période commence avec sa Troisième sonate op.23, sous-titrée ”Etats d’âme”, qui marque la fin de sa période romantique. Le style en est abrupt avec ses passages tendus contrastant avec des moments plus lyriques (écouter le début). Dans l’ouvrage qu’il consacre au compositeur, Boris de Schloezer écrit : « Cette sonate nous livre la structure psychologique et spirituelle de toutes les sonates que Scriabine écrira plus tard. Structure qui se ramène à un drame aboutissant à travers des péripéties à l’affirmation d’une libre volonté. » Effectivement, en l’écoutant, on a vraiment l’impression d’entendre Scriabine nous parler (écouter la fin).
En 1898, il pose également sa candidature au Conservatoire de Moscou, où il obtient le poste de professeur de piano. Les années qui suivent voient se succéder les naissances de quatre enfants. En juillet 1900, il visite à Paris l’Exposition universelle. Il y est frappé par le Palais de l’électricité, construction de verreries et de miroirs éclairée par douze mille lampes. Cette expérience ne manquera pas de lui inspirer plus tard ses projets de musiques accompagnées de lumières colorées. Il devient également membre d’une Société de philosophie. Il lit alors énormément les philosophes grecs antiques, la philosophie allemande, Ludwig Feuerbach, des commentateurs de Kant.
En 1902, fatigué des jalousies au sein du Conservatoire de Moscou, il démissionne. Il fait la connaissance d’une élève du conservatoire, Tatiana Schloezer, et dès lors sa situation familiale se dégrade. Grâce à un mécène, il peut partir vivre aux environs de Genève en 1904, afin de poursuivre ses travaux philosophiques et musicaux. Il tient un journal où il note toutes ses idées et ses impressions, réflexions musicales, métaphysiques, et visions poétiques à la recherche de la Vérité du monde. Il est très étroitement surveillé par la police suisse qui le considère comme un individu suspect, à cause de ses liens amicaux avec un membre du parti communiste russe. Mais les problèmes politiques du monde n’intéressent guère Scriabine. Sa vie personnelle est mouvementée : en 1905, il quitte sa femme et s’installe en couple avec Tatiana sur la Riviera italienne.
Les audaces de Scriabine seront la plupart du temps reçues de façon très critique. En voici deux exemples :
Son premier essai symphonique, un Concerto pour piano et orchestre, est accueilli ainsi par Rimsky-Korsakov : « Regardez-moi cette saloperie. […] C’est au-dessus de mes forces. Je me sens incapable de me mesurer à un tel génie brouillon. […] Je n’ai pas le temps de nettoyer Scriabine. » (note Scriabine 1)
Lors de la création du Poème de l’extase à New York, un journaliste de l’Evening Sun du 11 décembre 1908 écrit : « La plupart du temps, les violons ne poussaient que murmures et plaintes d’âmes perdues, tandis que de bizarres mélodies, ondulantes et imprécises, planaient parmi les instruments à vent. Un solo de violon se fit occasionnellement entendre, gémissant de plus en plus avant de disparaître dans un torrent d’harmonies acides, hurlées par des violons torturés. Tout cela ressemblait à tout ce qu’on veut, sauf à de l’extase. »
En 1905 (il a 33 ans mais il lui reste à peine 10 ans à vivre), il adopte les idées de la théosophie qui l’amène vers des horizons musicaux imprégnés de mysticisme. Il en sort le Poème de l’extase pour grand orchestre (1907 : écouter un extrait). Il développe alors des idées idéalistes où la musique est un moyen d’atteindre une transcendance par la communion de tous les arts, de tous les sens. Il note dans son journal : « La vibration relie les états de conscience entre eux et constitue leur seule substance. ». Il continue ses tournées de virtuoses dans toute l’Europe et aux Etats-Unis.
Au cours de ses voyages, il rencontre divers artistes et philosophes, et se demande comment exploiter sa synesthésie associant son et couleur. En 1909, il découvre le sonnet Voyelles de Rimbaud (A noir, E blanc, I rouge, U vert, O bleu, etc) ainsi que les écrits du Père Castel (1688-1757), inventeur d’un clavecin oculaire, où des couleurs sont associées aux touches. Il conçoit alors un projet alliant couleur et musique. Ce sera Prométhée ou le poème du feu (1910 : écouter un extrait), poème symphonique pour lequel il imagine un ”clavier à lumières” et prévoit une projection de couleurs, sorte d’aura de sa musique.
L’année 1911 voit la naissance de sa fille Marina. Ses œuvres rencontrent maintenant un franc succès ce qui le renforce dans ses convictions. À la recherche de la liberté spirituelle et de l’extase, sa musique évolue toujours plus loin vers les aspects mystiques de la vie, de la mort et de la réincarnation... au prix d’un hermétisme qui risque de dérouter l’auditeur. Début 1914, à Londres, il rencontre les milieux théosophiques et expose ses projets pour la construction d’un temple en Inde, dans le parc de la Société de théosophie, sorte de Bayreuth oriental, où ses œuvres auraient accompagné la liturgie d’une nouvelle religion. De retour à Moscou, il est fortement impressionné par un chant religieux soufiste qui doit amener les auditeurs à une sorte de transe mystique. Cette expérience ne peut manquer d’influencer son travail sur l’Acte préalable, œuvre qu’il conçoit de plus en plus comme un spectacle d’art total avec poésie, couleurs, parfums, danses, et même attouchements des participants.
Mais il meurt avant d’avoir pu accomplir ses rêves. Son père décède en décembre 1914 et il ne tarde pas à le suivre dans la tombe. Il donne son dernier concert en avril 1915 et s’éteint le même mois, le 27. Les circonstances de son décès n’ont pas été éclaircies, certains la relient à une piqûre de mouche charbonneuse qui aurait entraîné une infection sanguine, d’autres considèrent qu’il est mort d’une pleurésie.
Alexandre Scriabine est certainement l’une des figures musicales les plus captivantes du siècle dernier. Influencé à ses débuts par Chopin, Liszt et Wagner, il évolue vers un modernisme qui fait de lui un pionnier dans l’histoire de la musique au XXe siècle. Il faut attendre 1962 pour que soit enfin donné un Prométhée respectant les intentions du compositeur.