Dans les conservatoires français, l’étude de l’histoire de la musique s’inscrit dans le département de la culture musicale au même titre que l’analyse et l’esthétique. Il parait en effet difficile de les séparer, l’histoire de la musique proposant généralement une classification de la musique par période (= périodisation) en fonction de l’analyse de la musique et en fonction du contexte historique. L’esthétique est encore différente : il s’agit plus de réflexions philosophiques sur la musique par exemple des questionnements sur le rapport entre l’œuvre et le genre musical.
L’histoire de la musique repose, quant à elle, avant tout sur l’évolution du langage musical qui permet une classification chronologique de la musique composée pendant le second millénaire de notre ère.
À l’instar de l’histoire générale, on ne peut commencer l’analyse et donc la chronologie de la musique qu’à partir du moment où on a gardé une trace écrite soit environ au neuvième siècle de notre ère avec l’invention en France des fameux neumes.
Les éléments du langage se traduisent principalement par le mode de pensée du compositeur. C’est plus des procédés de compositions qu’il s’agit. Jusqu’en 1750, les musiciens ont privilégié le contrepoint (pensée horizontale) au détriment de l’harmonie (pensée plutôt verticale de la musique, par accord). Cette tendance s’est inversée par la suite, les superpositions de lignes mélodiques formant des accords. De nouvelles façons de voir la musique se sont développées au XXème siècle. Dans la pièce pour orchestre op 16 n°3 Farben, Arnold Schönberg utilise le principe de la Klangfarbenmelodie. Il s’agit d’un principe d’orchestration qui fait varier plus de fois le timbre (changement d’instrument) que les hauteurs (changement de notes) et la pensée musicale en est bouleversée. Ce ne sont plus les notes, qui sont importantes mais la couleur des sons, autrement dit le timbre. Plus tard dans le siècle, les compositeurs travailleront sur des propriétés mathématiques et psycho-acoustiques de la musique modale ou l’échelle de notes est plus importantes que les notes en elles-même (principe de la musique modale).
Les historiens au fil du temps vont pouvoir à partir de ces éléments faire une classification par période. Vers 1600, la tonalité devient fixe et la basse continue est créée: de cette date jusqu’en 1750, on parlera de musique baroque. Juste après viendra le classicisme, nommé comme tel en raison de la création à cette période des formes et structures musicales qui feront dates jusqu’au milieu du siècle dernier (voir le dossier sur la forme sonate). La musique du XIXe va être définie comme romantique: les compositeurs mettent en avant l’éthos de la musique, que ce soit un sentiment de pathétisme (sonate éponyme de Ludwig van Beethoven ou encore symphonie homonyme de Piotr Illitch Tchaïkovski) ou une évocation de la souffrance intérieure de l’être (Marche au supplice de la symphonie fantastique de Hector Berlioz).
Cependant, et contrairement à certains autres arts, il n’y a quasiment pas rupture entre les différentes périodes de l’Histoire de la musique. Il peut y avoir une volonté de dépasser le langage de l’époque ou de faire autre chose. De plus, le passage d’une période à une autre peut se faire par transition. On parle par exemple de Beethoven qui est pré-romantique c’est-à -dire entre classique et romantique. En encore, il faudra nuancer ces propos; l’œuvre de Beethoven n’est pas uniforme. Dans sa jeunesse, il sera plutôt classique. Le début de sa carrière viennoise (1792, trios avec piano op. 1) est encore classique. Quelques quinze années plus tard, il va composer des œuvres charnières comme le troisième concerto pour piano avec une structure classique mais un langage romantisant. Enfin, certaines œuvres tardives comme la sonate appassionata pourraient être considéré comme plus romantique que classique. Finalement, on arriverait presque à une proportion voire un rapport préétabli classique/romantique, où chaque œuvre est différente. Il s’agit bien sûr d’une démarche totalement absurde mais qui démontre bien le phénomène de transition d’une période à l’autre. Il faut en plus ajouter la superposition des générations qui crée un phénomène de superposition des mouvements musicaux. En 1912, le jeune Igor Stravinski donne son célèbre Sacre du printemps. Le moins jeune Camille Saint-Saëns né en 1835 et très académiste dans son œuvre assiste à cette représentation et selon la légende quitte la salle dès la première note de la pièce, un do aigu au basson (utilisation volontaire par Stravinsky d’un instrument à contre-emploi pour créer une plus grande tension).
Il faut de plus faire attention à notre regard contemporain sur l’histoire de la musique. S’il est vrai qu’il y a eu, généralement, une évolution du langage harmonique (de plus en plus dissonant) à l’intérieur du système tonal ainsi qu’une augmentation progressive de l’effectif de l’orchestre symphonique, il ne faut pas y voir pour autant un phénomène de progression. Gabriel Fauré n’est pas un mieux par rapport à Wolfgang Mozart mais il utilise un langage harmonique plus complexe. Certains vont jusqu’à donner une finalité de transition à des compositeurs : Richard Wagner ne doit pas être réduit à une transition entre Franz Liszt et Schoenberg ou Achille Claude Debussy. Il n’a pas composé sa musique pour préparer le dodécaphonisme. Il a simplement exploité le total chromatique, et c’est cette idée qui a plus ou moins été à la base du sérialisme inventé 40 ans après la mort de Wagner.
Dans l’histoire de la musique, il y a eu quelques retours en arrières que ce soit du point de vue formel ou linguistique. Un des courants les plus célèbres est le néo-classicisme dominé par les russes de la première moitié du vingtième siècle dont le manifeste pourra être la symphonie classique de Prokofiev op 25 qui utilise un langage quasiment classique et l’orchestre Haydno-Mozartien à 17 parties. Vers la fin du même siècle, des compositeurs comme Penderecki seront classés comme néoromantiques (requiem polonais...).
Plus rare est le retour à un système d’écriture venant du passé. Ceci se produira chez les romantiques de Leipzig (Felix Mendelssohn-Bartholdy, Robert Schumann, Johannes Brahms) qui, frappés par la musique de Johann Sebastian Bach, vont reprendre l’écriture de pièces contrapuntiques. Avec une démarche qui va dans le même sens, Ligeti dans quelques pièces (ramifications pour cordes, lux aeternam pour chœur à capella) va reprendre le phénomène de contrepoint de masse en vogue chez les compositeurs de la renaissance (motets à 24 voix chez J. Des près.) en utilisant en plus un langage micro tonal.
Si nous avons déjà parlé de la difficulté de connaitre la musique précédant le neuvième siècle (date de l’invention de l’écriture musicale), il faut maintenant prendre en compte la perte des partitions anciennes. Les moyens de conservation du 17ème siècle ne sont en effet pas les mêmes que ceux de nos jours (et encore, il est quasiment impossible de trouver dans le commerce des partitions de Gérard Grisey à l’heure actuelle) et si chaque année, nous retrouvons des partitions que l’on croyait perdues, nous pouvons en supposer qu’il y a des chefs-d’œuvres que nous ne retrouverons jamais. Peut être même attribuons-nous une invention musicale à un compositeur alors que quelqu’un d’autre l’a fait avant lui ? Il y a également le problème d’authentification d’une œuvre. Dans le catalogue Koechel, la 37ème symphonie de Mozart n’est pas de Mozart. Elle a en fait été écrite par Michael Haydn.
Comparé à la littérature, le rôle de compositeur baroque est plus social. Un écrivain pouvait écrire un livre « seul « alors qu’un compositeur a besoin de musiciens pour faire vivre sa création. Il a donc besoin de fonctions sociales ou ecclésiastiques. Là encore, si un compositeur avec un langage très moderne s’était vu refuser tout droit d’interprétation de ses pièces, ses partitions auraient-elles pu arriver jusqu’à aujourd’hui ? Des maîtres comme Bach ou Franz Schubert sont tombés très vite dans l’oubli et si leur famille (respectivement ses fils et son frère) n’avaient pas gardé précieusement les manuscrits, que serait-il advenu de leur œuvre ?
Par histoire de la musique, nous entendons plus exactement histoire de la musique savante occidentale, ce qui est beaucoup plus réducteur. Les compositeurs de lieder Durchkomponiert (composés d’un bout à l’autre ; avec une structure tirée du poème) doivent-ils être plus connus que ceux qui ont fait du strophisme pur (Volkslied : chant populaire) sous prétexte que leurs pièces sont plus complexes ?
Ce n’est qu’au XXème siècle qu’on intégrera la musique folklorique et populaire à la musique savante grâce aux travaux d’ethnomusicologie de Béla Bartók et Kodaly qui récoltèrent plus de 10 000 chants dans l’Europe de l’est et qui l’intégrèrent à leurs compositions : rythmes axâtes (mètres impairs) modes hongrois (gamme ni majeure ni mineure) ... Chez les français, Maurice Ravel et Debussy intégreront le jazz dans leur musique et Darius Milhaud dans la création du monde juxtaposera des éléments de diverses origines, tant jazzy que folklorique que de musique classique avec notamment le saxophone soliste et une importante percussion déployée (rappelons qu’il avait été en voyage au Brésil avec l’ambassadeur Paul Claudel).
Il faut enfin parler de la question primordiale qu’a apportée la musique contemporaine : l’intégration de bruits dans la musique avec notamment John Cage. Cependant, par définition, la musique s’oppose au bruit, car la musique se construit à partir de sons de hauteur, d’intensité et de timbre indéterminés. Cage va murir cette réflexion jusqu’à composer 4 minutes 33 de silence où la réaction du public sera la véritable partition. Le minutage de 4 minutes 33 aurait été choisi car cela fait 273 secondes, chiffre qui est la température du zéro absolu en degré Kelvin.
L’idée de la musique contemporaine est d’innover à chaque pièce, à dépasser toutes les traditions, toutes les structures préétablies de la musique classique, éviter le sentiment de quiétude qu’à un auditeur pendant un premier mouvement d’une symphonie de Haydn car il sait que de toutes façons, ce sera une forme sonate. Ainsi, Cage, fervent opposant à tout cet académisme, dira « Un son est un son, et pour s’en rendre compte, il faut mettre fin à l’étude musicale « .
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