Pressé(e) ? Découvrez la biographie courte de Schönberg
Né le 13 septembre 1874 à Vienne (quartier Leopoldstadt) dans une famille juive ashkenaze, Arnold Schönberg est le fils d’une professeur de piano, Pauline, et de Samuel, qui tient un magasin. Il se passionne pour la musique qu’il aborde avec sa mère. Le futur compositeur s’avère principalement autodidacte, même s’il reçoit des cours de contrepoint d’Alexander von Zemlinsky, ami et futur beau-frère. Il pense d’abord faire carrière dans la finance mais...
Lors d’un stage dans une banque, il est renvoyé pour avoir inscrit dans les registres le nom de Beethoven à la place de celui d’un client ! Il décide alors de se vouer à la musique.
Le climat artistique de Vienne en cette fin de siècle est particulièrement favorable (Johannes Brahms, Anton Bruckner et Hugo Wolf y vivent, Gustav Mahler y dirige l’opéra). Il se met d’abord sagement à l’étude de Johann Sebastian Bach, Wolfgang Mozart, Ludwig van Beethoven et Brahms. Ses 1ères œuvres comme La Nuit transfigurée pour sextuor à cordes (1899 : écouter un extrait) procèdent de son admiration pour Richard Wagner, mais également pour Richard Strauss.
Le 7 octobre 1901 à Bratislava, il épouse la sœur de Zemlinsky, Mathilde. Il retourne à Vienne en 1903 et obtient une chaire de professeur à la Reformschule du Docteur Schwarzwald. C’est à cette époque que viennent à lui ses premiers (et principaux) élèves (Alban Berg, Erwin Stern, Anton Webern, etc.). Ardent patriote, à l’instar d’un certain Achille Claude Debussy mais dans le camp opposé, Schönberg s’engagera volontairement lors de la Première Guerre Mondiale. Cela déclenchera une certaine animosité entre les deux musiciens.
Ses premières œuvres (La Nuit transfigurée, par exemple) ne reçoivent qu’un accueil mitigé ce qui ne le décourage pas. Peu à peu, partant d’une analyse logique de l’évolution de l’harmonie à la fin du romantisme, il se permet des dissonances de plus en plus audacieuses... jusqu’à l’abandon total de la tonalité ! Notons qu’au même moment, et aussi à Vienne, Vassily Kandinsky risque le grand saut dans l’abstraction : Schönberg, qui était aussi un peintre expressionniste, ne pouvait l’ignorer).
D’un langage atonal adopté au cours des années 1906-1907, Schönberg n’évoluera vers le plus strict dodécaphonisme qu’entre 1921 et 1924 (à la même époque environ de Webern). La révolution dodécaphonique ne s’est donc pas faite en un jour, et c’est un quasi autodidacte qui l’a accomplie !
Cette évolution, il ne l’a pas parcourue seul. Avec Berg et Webern, il fonde ce qu’il est convenu d’appeler la seconde École de Vienne (la première désigne le sommet atteint par Joseph Haydn, Mozart, Beethoven et Franz Schubert). Par la suite, il sera un pédagogue et théoricien de réputation mondiale (parmi ses nombreux élèves figure John Cage).
Le point culminant de ses recherches est son Pierrot lunaire pour soprano et huit instruments solistes (1912 : écouter le début). Il y rompt totalement avec la tonalité, traitant même la partie vocale en « parlé-chanté » (Sprechgesang).
Apparenté au récitatif, le Sprechgesang est un parlé-chanté à mi-chemin entre une récitation parlée très emphatique et un chant véritable. Inventé par Engelbert Humperdinck dans son opéra Les enfants royaux, le procédé est d’abord repris par Schönberg dans ses Gurre-Lieder (1900-1912) avec la partie finale du récitant, puis développé dans le célèbre Pierrot lunaire (1912) où il veut dépasser l’opposition classique entre parties récitées et parties chantées. Il correspond aussi à l’influence de la culture du cabaret. Il s’inscrit enfin dans le prolongement du Pelléas (1902) de Debussy en prenant à contre-emploi les voix de diva que l’on célébrait encore alors chez Wagner.
Dans le prologue accompagnant la partition du Pierrot, Schönberg indique que l’interprète doit transformer les notes indiquées sur la portée en une « mélodie parlée » tout en veillant scrupuleusement à « respecter les hauteurs de ton indiquées ». L’intérêt pour le compositeur était que la voix soit chargée d’une tension dialectique permanente entre l’interprétation théâtrale des poèmes, et l’interprétation chantée dialoguant avec les instruments. Mais, si explicites que soient les intentions de Schönberg, de gros problèmes d’interprétation se posent. Pierre Boulez écrira en 1963 : « La question se pose de savoir s’il est réellement possible de parler selon une notation conçue pour le chant. C’était le vrai problème à la racine de toutes les controverses. Les propres remarques de Schoenberg sur le sujet ne sont pas claires... »
C’est sans doute cette ambiguïté des limites entre le parlé et le chanté qui explique que la technique sera fort peu reprise ensuite, ou alors à des occasions précises. Berg l’utilisera dans la prière de Marie de son opéra Wozzeck (1922 : écouter). Schönberg lui-même s’en servira dans son opéra inachevé Moses und Aron (1932) : pour traduire musicalement l’opposition entre les deux frères, il fait s’exprimer Moïse en Sprechgesang, alors qu’Aaron recourt au chant lyrique.
Le Pierrot fait une forte impression sur le monde musical et établit définitivement Schönberg en tête des compositeurs les plus influents de son temps. Pour preuve, Stravinski s’en inspire dans ses Trois Poésies de la lyrique japonaise (1913 : écouter la 2nde) ainsi que Ravel dans ses Trois poèmes de Mallarmé (1913 : écouter le début de Placet futile). L’Europe musicale se divise en atonalistes et anti-atonalistes, ces derniers n’hésitant pas à perturber des concerts et à demander le renvoi de Schönberg de sa chaire de professeur.
Mais cette remise en cause profonde des fondements de la musique occidentale effraye son auteur lui-même, qui traverse une période de doutes et de réflexions (1915-1923). Ce n’est qu’après huit années de repli qu’il reprend la composition sur de nouvelles bases, empruntées au système rigide de son contemporain Josef Matthias Hauer, qu’il assouplit et rend plus expressif
Car Schönberg est profondément conservateur : son souhait n’est pas de tout révolutionner mais de fonder un nouveau classicisme. Pour substituer de nouveaux repères au traditionnel enchaînement « tonique-dominante », il imagine la composition sérielle.
Tout morceau doit être basé sur une « série » de douze sons (les douze sons de l’échelle chromatique), dans l’ordre que l’on veut (au gré de l’inspiration « sérielle »), mais sans répéter deux fois le même son. La série peut ensuite être utilisée par mouvement inverse, en miroir, être transposée, par fragment, et enfin sous forme d’agrégation. Tout le morceau découle donc d’une série préalablement établie, ce qui donne donc un cadre formel se substituant à la tonalité.
La première œuvre où Schönberg applique ces principes de façon stricte est la Valse de la Suite pour piano opus 25 (1923 : écouter... la série en est do dièse, la, si, sol, la bémol, sol bémol, si bémol, ré, mi, mi bémol, do, fa). D’abord enivré par son procédé, il déclare : « Mon invention assurera la suprématie de la musique allemande pour les cent ans à venir ». Mais par la suite il n’hésitera pas à prendre des libertés avec son propre système, comme dans ses Variations pour orchestre opus 31 (1928 : écouter le Thème et 3 variations).
En 1925, il devient professeur à l’Académie prussienne d’Art mais s’en voit éjecté avec l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933 (le nazisme combattait ce qu’il appelait l’art "dégénéré" dont faisait partie la musique que produisait les dodécaphonistes). C’est cette année que Schönberg, que son judaïsme rend d’autant plus indésirable aux yeux du régime nazi, émigre au états-Unis. Après un second repli de 1933 à 1935, succèdent les années d’épanouissement du style où ses puissantes œuvres tardives affirment une parfaite maîtrise de la technique sérielle. C’est par exemple le cas du Concerto pour violon op. 36 (1934/36 : écouter le début du 3ème mvt). Cependant, certaines laissent affleurer l’idée d’un relatif retour à la tonalité comme dans la 2nde Symphonie de chambre op.38 (1939 : écouter le début du 2ème mvt).
Mais ce n’est pas cet aspect qu’ont exploité les compositeurs des générations suivantes qui se sont réclamés de lui. C’est plutôt la voie suivie par un de ses 1er disciples : Webern. Celui-ci se rallie rapidement au dodécaphonisme. Exemple : Cinq pièces pour orchestre, op. 10 (1911-1913 : écouter la 1ère). Puis il exploite avec rigueur les techniques du sérialisme proposées par Schönberg à partir de 1923. Exemple : Concerto pour 9 instruments op. 24 (1934 : écouter le 3ème mvt). Webern va même jusqu’à appliquer la série non plus seulement au hauteurs mais aux durées.
Après la 2nde guerre mondiale, un groupe de jeunes compositeurs nés autour de 1925 constituent « l’École de Darmstadt » (essentiellement : Luigi Nono, Luciano Berio, Boulez et Karlheinz Stockhausen). Chaque année (entre 1957 et 1961), ils se retrouvent dans cette ville pour échanger leurs expériences basées sur un sérialisme « intégral » prolongeant le travail de Webern : la série est généralisée à tous les paramètres du son : rythmes, durées, timbres, attaques... (écouter le début de Polyphonie X de Boulez). Le même Boulez déclare alors : « Tout musicien qui n’a pas ressenti la nécessité du langage dodécaphonique est INUTILE. Car toute son œuvre se place en deçà des nécessités de son époque ».
Mais le résultat est une musique cérébrale et complètement hermétique pour l’auditeur moyen. Aussi chaque compositeur ne tarde pas à abandonner un rigorisme trop strict pour s’engager, chacun à sa façon, dans des voies plus personnelles.
Schönberg ne reviendra pas en Europe. Il décède à Los Angeles le 13 juillet 1951.
Son influence sur la musique du XXe siècle est considérable. Mais en fait, ce n’est sans doute pas chez ses continuateurs directs qu’on trouve son principal héritage. En se détournant aussi radicalement de toute référence à la tonalité, il permet à l’ensemble de la musique « savante » d’oser avancer vers des voies inexplorées. Déjà , Debussy avait exploité la modalité. D’autres iront beaucoup plus loin : Charles Ives, Béla Bartók, Igor Stravinski, Edgar Varèse, Darius Milhaud, Olivier Messiaen, Cage, Iannis Xenakis, Pierre Henry... pour ne citer que les personnalités les plus marquantes du XXe siècle.
Si bien qu’aujourd’hui, la tonalité ne subsiste plus que dans la chanson, le divertissement, le cinéma, et un peu dans les musiques minimalistes. Exemples : la 3ème Symphonie d’Henryk Górecki (1976 : écouter le Lento) le Cantate Domino d’Arvo Pärt (1977 : écouter le début) ; The Desert Music de Steve Reich (1984 : écouter le début). Le versant négatif de cette rupture est que le pont est désormais coupé entre le grand public et la musique savante vivante.
En brisant le carcan des siècles précédents et en permettant à la musique du XXe siècle de s’autoriser toutes les audaces, Schönberg apparaît aujourd’hui comme un point de non-retour. Mais avec le recul, on peut constater que l’atonalisme radical était une impasse et que la plupart des compositeurs contemporains s’en sont détournés. Schönberg lui-même n’avait-il pas commencé en déclarant à la fin de sa vie : « Il y a encore tant de belles choses à écrire en ut » ?
Curieuse affirmation pour quelqu’un qu’on présente comme un théoricien rigoriste. Une facette moins connue de son œuvre en offre un côté plus aimable voire fantasque. Ce sont les nombreuses transcriptions qu’il a réalisées toute sa vie : Schubert, Brahms, Gioacchino Antonio Rossini et même cette Valse de l’Empereur de Johann Strauss fils : écouter la fin.
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