Pressé(e) ? Découvrez la biographie courte de Beethoven
Ce qui frappe chez Beethoven, tant dans sa personnalité que dans son œuvre, c’est le sentiment d’une prodigieuse énergie. « Je veux saisir le Destin à la gueule [ou "gorge", NdlR] » : cette déclaration de 1801 résume bien sa détermination. La force intérieure qui l’anime lui permettra de surmonter tous les obstacles, à commencer par une enfance difficile.
Ludwig van Beethoven est né à Bonn (Allemagne) le 17 décembre 1770 (seul deux de ses sept frères, Kaspar-Karl et Johann, nés respectivement en 1774 et 1776, survivront). La famille est musicienne depuis au moins deux générations : Ludwig van Beethoven l’ancien (1712-1773), son grand-père paternel, s’était installé à Bonn en 1732, et son père Johann van Beethoven est ténor de la chapelle de l’électeur de Cologne (Köln). Homme alcoolique et violent, il remarque cependant les dons musicaux de son fils Ludwig (d’abord pour le piano). Quant à Maria-Magdalena (1746-1787), la mère, d’origines slaves, elle est la fille d’un cuisinier de l’électeur de Trèves.
Beethoven, qui se montre alors élève appliqué lorsqu’il s’agit de musique, reçoit dès l’âge de cinq ans des cours de violon et de piano par son père, dans l’optique d’une opération "singe savant". Le géniteur du petit prodige aimerait en effet bien en faire un nouveau Wolfgang Mozart. Mais, alors que le père de ce dernier était attentif et respectueux, lui se montre brutal et alcoolique. Mauvais impresario, il ne rencontre le succès qu’à l’occasion d’une tournée aux Pays-Bas en 1781.
Très tôt, l’enfant manifeste une personnalité rebelle et brave l’autorité paternelle. Sa formation musicale est poursuivie par le compositeur et chef d’orchestre Christian Gottlob Neefe, qui lui trouve d’ailleurs une place dans l’orchestre de la cour. Le nouvel électeur, Max-Franz, protège le jeune musicien, organiste adjoint depuis 1784, et lui accorde une bourse de 170 florins. Dès 14 ans donc, il gagne sa vie et aide à nourrir sa famille. Grâce à ses protecteurs qui admirent son talent et son courage, il poursuit tant bien que mal son éducation générale et musicale.
Ludwig compose alors ses premiers concertos et quatuors à cordes (ses premières pièces, pour piano, datent de 1782-1783 : il s’agit notamment des Neuf variations sur une marche de Dressler et des Trois Sonatines dites "à l’Électeur").
En 1787, grâce au comte Ferdinand von Waldstein (il lui dédiera sa Sonate pour piano n° 21 en 1804) qui le remarque, Beethoven part à Vienne dans le but d’y rencontrer Mozart. Hélas, celui-ci venant de perdre son père, la rencontre se déroule dans un climat peu propice. Cependant, Mozart garde une très bonne impression du jeune compositeur : "ce jeune homme fera parler de lui".
De plus, en 1792, Waldstein organise la rencontre entre Joseph Haydn et son protégé. Haydn s’intéresse au musicien (la Cantate sur la mort de Joseph II ou celle sur l’avènement de Léopold II furent déterminantes) et lui propose d’étudier à Vienne sous sa direction. De plus en plus coupé de Bonn (sa mère, à laquelle il était attaché, est morte en juillet 1787 de la tuberculose, et son père, alcoolique chronique, est à la retraite depuis 1789), Beethoven, qui enseignait et jouait dans l’orchestre municipal aux côtés de son ancien maître Neefe, accepte avec enthousiasme et quitte Bonn, sa bonne vieille ville natale, pour la capitale autrichienne le 2 novembre 1792. Hélas, Mozart, qu’il adulait, est déjà mort depuis près d’un an.
À 22 ans donc, Beethoven quitte définitivement les bords du Rhin pour Vienne où le vieux maître l’a invité à suivre son enseignement pour combler ses lacunes. Mais il se révèle un élève rétif et peu docile. Malgré une estime réciproque indubitable, Haydn n’entretient pas avec Beethoven la même relation qu’avec Mozart : le courant passe mal avec ce jeune révolutionnaire indomptable et entêté. Cependant, Beethoven reconnaîtra lui-même l’influence notable de l’Autrichien sur son œuvre. Haydn, avant son second voyage à Londres, le quitte avec cette déclaration prophétique :
« Vous avez beaucoup de talent et vous en acquerrez encore plus, énormément plus. Vous avez une abondance inépuisable d’inspiration, vous aurez des pensées que personne n’a encore eues, vous ne sacrifierez jamais votre pensée à une règle tyrannique, mais vous sacrifierez les règles à vos fantaisies ; car vous me faites l’impression d’un homme qui a plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes. »
De janvier 1794 au début de 1795 (pendant le séjour de Haydn en Angleterre), il prend des cours auprès de Johann Georg Albrechsberger (contrepoint) et d’Antonio Salieri pour l’art vocal. Il achève ainsi une formation quelque peu chaotique.
Mais c’est comme pianiste que Beethoven se taille d’abord une réputation. En 1796, une tournée de concerts le mène de Vienne à Berlin en passant notamment par Dresde, Leipzig, Nuremberg et Prague. Sa carrière parallèle de compositeur est encore peu connue.
Il éblouit son auditoire par sa virtuosité et ses improvisations inspirées, fougueuses et souvent déroutantes. Comme le rapporte un critique en 1796 : « Il saisit nos oreilles, non pas nos cœurs ; c’est pourquoi il ne sera jamais pour nous un Mozart. »
Le compositeur n’a pas encore atteint sa période de maturité artistique, et jusqu’au début des années 1800, il participe régulièrement aux joutes musicales, fort appréciées à l’époque (un peu comme les rap battles actuelles… non ?), qui le consacrent "meilleur pianiste viennois" :
« Son improvisation était on ne peut plus brillante et étonnante ; dans quelque société qu’il se trouvât, il parvenait à produire une telle impression sur chacun de ses auditeurs qu’il arrivait fréquemment que les yeux se mouillaient de larmes, et que plusieurs éclataient en sanglots. Il y avait dans son expression quelque chose de merveilleux, indépendamment de la beauté et de l’originalité de ses idées et de la manière ingénieuse dont il les rendait. » (Carl Czerny, vers 1840).
Beethoven aurait ainsi surclassé un pianiste très en vue à l’époque, l’abbé Gelibek, qui aurait dit de lui : « C’est Satan en personne qui se cache derrière ce jeune homme ! Je n’ai jamais entendu jouer de la sorte..."
Pour son insrument, il écrit ses premiers chefs-d’œuvre : Premier Concerto op. 15 (1798 : écouter le début du 1er mvt), la Huitième Sonate op. 13 « Pathétique » (1799 : écouter le début du 1er mvt), la Quatorzième Sonate op. 27 n° 2 « Clair de lune » (1801 : écouter le début du 1er mvt).
Sa réputation commence à dépasser l’Autriche, mais il est alors victime du pire malheur qui soit pour un musicien : dès 1796 en effet, il ressent les premiers symptômes de la surdité. Ses oreilles sifflent et bourdonnent perpétuellement. Il envisage le suicide, persuadé qu’il sera rapidement privé de ses facultés musicales, et rédige à l’intention de ses frères le 6 octobre 1802 une célèbre lettre qui nous est restée sous le nom de « Testament d’Heiligenstadt ».
Il abandonne sa carrière de virtuose pour se lancer à corps perdu dans la composition. À cause de sa surdité, il se renferme sur lui-même et après 1819 ne communique plus que par lettres. Il acquiert une réputation de misanthrope. Par peur de devoir assumer en public cette terrible vérité, il s’isole et se montre souvent désagréable. Sa lettre exprime à la fois son désespoir et sa foi en son art.
« À vous, hommes qui pensez que je suis un être haineux, obstiné, misanthrope, ou qui me faites passer pour tel, comme vous êtes injustes ! Vous ignorez la raison secrète de ce qui vous paraît ainsi. […]Songez que depuis six ans je suis frappé d’un mal terrible, que des médecins incompétents ont aggravé. D’année en année, déçu par l’espoir d’une amélioration, [...] j’ai dû m’isoler de bonne heure, vivre en solitaire, loin du monde. [...] Si jamais vous lisez ceci un jour, alors pensez que vous n’avez pas été justes avec moi, et que le malheureux se console en trouvant quelqu’un qui lui ressemble et qui, malgré tous les obstacles de la Nature, a tout fait cependant pour être admis au rang des artistes et des hommes de valeur. » (lire le texte intégral).
La lettre ne fut jamais envoyée et sera retrouvée seulement après sa mort. Ainsi, une fois de plus, il surmonte cette épreuve à force de volonté, célébrant dans sa musique le triomphe de l’héroïsme et de la joie quand le destin lui prescrivait l’isolement et la misère.
Mais, finie la vie mondaine, une page est tournée : « Je suis peu satisfait de mes travaux jusqu’à présent. À dater d’aujourd’hui, je veux ouvrir un nouveau chemin. »
Ce sera sa Symphonie n° 3 « Héroïque » (1804), qui marque la sortie de la crise de 1802. Par sa longueur, la richesse et l’intensité des émotions exprimées, sa hardiesse harmonique et orchestrale, elle traduit aussi l’évolution du style de Beethoven et beaucoup la considèrent même comme le début de la période romantique (écouter le début).
La Symphonie héroïque est dédiée tout d’abord à Bonaparte, que le compositeur admire en tant qu’incarnation des idéaux de la Révolution française. Cependant, quand le Premier Consul se fait sacrer Empereur en 1804 sous le nom de Napoléon, Beethoven rature la première page avec une telle rage qu’il brise sa plume et transperce le papier. Plus tard, lors de la publication de l’œuvre, il y inscrit le titre Symphonie Héroïque, "composée en mémoire d’un grand homme".
Le caractère révolutionnaire de cette symphonie apparaît dans une anecdote racontée par un de ses disciples : « La première répétition de la symphonie fut terrible, mais le corniste entra pile au moment prévu. Je me tenais à côté de Beethoven et, croyant que le musicien avait fait une entrée hâtive, je dis : « Ce maudit corniste ! Ne sait-il pas compter ? Cela sonne affreusement faux ! » Je crois que j’ai été à deux doigts de me faire chauffer les oreilles. Il a fallu un long moment avant qu’il ne me pardonne. » (écouter la dissonance)
En juillet 1805, alors que son unique opéra, Fidelio, est un échec, le compositeur fait la rencontre de Luigi Cherubini pour qui il ne cachait pas son admiration.
Les années 1806 à 1808 sont les plus fertiles en chefs-d’œuvre de toute sa vie : la seule année 1806 voit la composition du Concerto pour piano n° 4, des trois grands Quatuors à cordes op. 59, numéro 7, numéro 8 et numéro 9 dédiés au comte Razumovsky (l’un de ses premiers mécènes ; écouter le début du 2ème mvt), de la Quatrième Symphonie et du célèbre Concerto pour violon en ré majeur op. 61 (écouter un extrait du 1er mvt).
À l’automne 1806, il accompagne son mécène le prince Carl Lichnowsky dans son château de Silésie et fait à l’occasion de ce séjour la plus éclatante démonstration de sa volonté d’indépendance. Lichnowsky l’ayant menacé de le mettre aux arrêts s’il s’obstinait à refuser de jouer du piano pour des officiers français, il quitte son hôte après une violente querelle et lui envoie un billet qui se passe de tout commentaire :
« Prince, ce que vous êtes, vous l’êtes par le hasard de la naissance. Ce que je suis, je le suis par moi-même. Des princes, il y en a et il y en aura encore des milliers. Il n’y a qu’un Beethoven. »
Après cet éclat, le prince supprimera bien entendu la pension qu’il accordait au compositeur. Deux ans plus tard cependant, Beethoven lui dédie sa Symphonie n° 5 dite « du destin » (écouter le 3ème mvt). Volonté de reconciliation ou pied de nez ?
Une autre anecdote est révélatrice de son tempérament rebelle, farouchement attaché à son indépendance. En 1812, il rencontre Gœthe dont il admire les œuvres, mais il le trouve trop servile. Il raconte :
« Hier, nous avons rencontré, sur le chemin, en rentrant, toute la famille impériale. Nous la vîmes de loin. Gœthe se détacha de mon bras, pour se ranger sur le côté de la route. J’eus beau lui dire tout ce que je voulus, je ne pus lui faire faire un pas de plus. J’enfonçai alors mon chapeau sur ma tête, je boutonnai ma redingote, et je fonçai, les bras derrière le dos, au milieu des groupes les plus épais. Princes et courtisans ont fait la haie, le duc Rodolphe m’a ôté son chapeau, madame l’impératrice m’a salué la première. Les grands me connaissent. Pour mon divertissement, je vis la procession défiler devant Gœthe. Il se tenait sur le bord de la route, profondément courbé, son chapeau à la main. Je lui ai lavé la tête après, je ne lui ai fait grâce de rien... »
Gœthe écrira plus tard : « J’ai fait la connaissance de Beethoven. Son talent m’a plongé dans l’étonnement. Je n’ai encore jamais vu un artiste plus puissamment concentré, plus énergique, plus intérieur […]. Mais c’est malheureusement une personnalité tout à fait indomptée. »
Carl Röhling (1849-1922), Beethoven et Goethe à Teplitz
(l’original se trouve à la Maison Beethoven de Bonn, en Allemagne)
En 1808, Jérôme Bonaparte (frère de Napoléon) propose à Beethoven un poste de maître de chapelle à Kassel. Le compositeur, qui avait perdu la pension accordée par le prince Carl Lichnowsky (lire plus haut) semble prêt à accepter cette proposition qui le mettrait à l’abri de tout besoin.
C’est alors que Vienne se réveille : l’archiduc Rodolphe, le prince Kinsky et le prince Lobkowitz forment une alliance, assurant à Beethoven 4000 florins par an s’il restait, ce qu’il accepte. Mais le destin prend de nouveau le musicien au dépourvu sous la forme de la guerre franco-autrichienne de 1809 et de la crise économique qui s’ensuit en Autriche. Le contrat promis ne durera pas plus de deux ans ! De plus, cette guerre fait quitter Vienne à de nombreux amis de Beethoven qui doit surmonter seul, à partir de 1812, de nombreux problèmes.
Beethoven n’a jamais eu de chance dans sa vie amoureuse. Nombreuses sont les femmes que son génie a séduit, mais aucune n’a franchi le pas du mariage, sans doute effrayée par son caractère difficile.
En 1812, il rédige la bouleversante Lettre à l’immortelle Bien-aimée, qu’on retrouvera après sa mort, mais dont on ne connaîtra jamais la destinataire. C’est probablement une des nombreuses égéries auxquelles il a dédié des œuvres comme sa Sonate n° 24 dite « à Thérèse » (1809 : écouter le 1er mouvement).
« Mon ange, mon tout, mon autre moi-même, quelques mots seulement aujourd’hui, et au crayon (le tien). [...] Pourquoi ce profond chagrin alors que la nécessité parle ? Notre amour peut-il exister autrement que par des sacrifices, par l’obligation de ne pas tout demander ? Peux-tu faire autrement que tu ne sois pas toute à moi et moi à toi ? » (lire le texte intégral).
Vers 1810, Beethoven rencontre le tchèque Johann Nepomuk Maelzel qui crée divers outils pour l’aider dans son audition défaillante : cornets acoustiques, systèmes d’écoute raccordés au piano, etc. Vers 1812, l’inventeur lui présente un objet permettant d’indiquer la vitesse à laquelle doit être jouée une musique : le métronome. Séduit, le musicien lui rend hommage dans le second mouvement humoristique de sa Symphonie n° 8 (1813 : écouter). En outre, la même année, il compose La Victoire de Wellington, pour être jouée sur un instrument mécanique de l’inventeur : le "Panharmonica" (écouter un extrait).
Beethoven adopte aussitôt le métronome car il peut désormais indiquer précisément les tempos qu’il souhaite. Il annote aussi ses œuvres antérieures. Mais un doute subsiste sur ces indications car elles indiquent des tempos très rapides, au point d’être à la limite de l’exécutable. Serait-ce l’effet de sa surdité ou d’instruments imparfaits ? Peut-être faut-il plutôt simplement les comprendre comme le souhait d’une interprétation la plus énergique et vivante possible... (lire un article à ce sujet)
En 1814 puis 1815, les pays vainqueurs se rencontrent en congrès à Vienne pour effacer les effets des conquêtes napoléoniennes. Beethoven est encensé comme musicien national mais cette gloire affichée masque les nombreuses difficultés du compositeur durant cette sombre période. Sur le plan culturel, la ville préfère la musique plus légère de Gioacchino Antonio Rossini. Sur le plan politique, la police n’apprécie pas ses convictions démocratiques et révolutionnaires. Sur le plan personnel, son frère Kaspar décède, lui laissant la tutelle de son fils. Malgré toute sa bonne volonté, ce neveu allait devenir pour lui, et jusqu’à la veille de sa mort, une source inépuisable de tourments. Tandis que sa situation matérielle devient de plus en plus préoccupante, il tombe gravement malade entre 1816 et 1817 et semble une nouvelle fois proche du suicide.
Sa verve créatrice décline, ses œuvres sont plus sombres. Sa surdité est maintenant totale. Il ne communique plus avec son entourage que par l’intermédiaire de cahiers de conversations. Il y note ses courses, des idées musicales, mais aussi des réflexions tournées vers l’introspection et la spiritualité. Beaucoup ont été perdus mais ceux qui nous restent sont une précieuse source d’informations.
Les forces de Beethoven reviennent à la fin de 1817. Après ces tristes épisodes, la force morale et la volonté du compositeur reprennent le dessus. Une nouvelle période s’ouvre à partir de 1818, où ses compositions font éclater les formes classiques et ouvrent vers l’avenir. Sans doute est-ce l’effet de la surdité, il crée sans tenir compte des modes ni des possibilités sonores de son époque : « Croyez-vous que je pense à un sacré violon quand l’Esprit me parle et que j’écris ce qu’il me dicte ? »
Il connait maintenant un regain de ferveur chrétienne : en 1818, il entreprend l’écriture de sa Missa Solemnis (1822 : écouter le début du Credo). En 1823, l’éditeur Diabelli envoie à l’ensemble des compositeurs de son temps une valse très simple de son cru en les invitant à écrire chacun une variation. Que faire de ce petit thème banal (écouter) ? Piqué au vif, Beethoven en tire Trente-trois Variations qui métamorphosent le thème et que Diabelli, admiratif, édite aussitôt en un seul cahier (écouter les n° 21 à 24) ! Il les préface ainsi :
« Nous présentons ici un grand et important chef-d’œuvre, digne de figurer parmi les créations impérissables, comme seul Beethoven, le plus grand compositeur vivant pouvait en produire. […] Ce travail est d’autant plus intéressant qu’il est basé sur un thème qu’on n’aurait pas supposé capable d’intéresser ce grand homme. […] Les splendides fugues n° 24 et 32 étonneront tous les amateurs de style sérieux, tout comme les n° 6, 16, 17, 23, etc. Les pianistes brillants apprécieront en outre la nouveauté des idées, la beauté des harmonies, l’habileté des transitions… Ces variations sont comparables au célèbre chef-d’œuvre de Johann Sebastian Bach. Nous sommes fiers de les avoir occasionnées […] »
Effectivement, il est très probable que Beethoven ait voulu créer un monument à l’égal des Variations Goldberg de Bach, elles aussi au nombre de trente-trois (si l’on compte le thème).
En 1823, Beethoven assiste à un concert de Franz Liszt qui a alors 11 ans. Comment sa surdité lui a-t-elle permis d’apprécier le jeune virtuose ? Toujours est-il qu’il félicite l’enfant qui, des années plus tard, deviendra un interprète accompli de ses sonates et transcrira l’intégralité de ses symphonies pour le piano (écouter le 2nd mvt de la Symphonie n° 8).
Le sept mai 1824, sa Symphonie n° 9, dont la célèbre Ode à la joie (qu’il souhaitait mettre en musique avant même son départ de Bonn), est donnée (écouter le début du 4ème mvt). Elle peut paraître classique avec ses quatre mouvements, mais chacun d’entre eux innove, se déploie et prend des proportions exceptionnelles. De sorte qu’elle annonce avec soixante ans d’avance les symphonies de Gustav Mahler, qui semble prendre le relais avec sa Symphonie n° 1 « Titan » (1888 : écouter le début du 4ème mvt). De même, ses derniers quatuors (écouter le n° 16, début du 4ème mouvement) semblent prolongés par ceux de Béla Bartók (écouter le n° 1, début du premier mouvement).
À l’époque de la création de sa Symphonie n° 9, en 1824, Beethoven n’a plus la faveur du public viennois qui lui préfère une musique plus légère. De plus, il y a douze ans que le compositeur a disparu de la scène. On pouvait donc s’attendre au pire.
Le programme annonçait que le concert serait codirigé par le Kapellmeister du théâtre assisté de Beethoven. Toutefois, les chanteurs et musiciens avaient pour consigne d’ignorer les gestes du compositeur presque totalement sourd. Il tournait les pages de sa partition et battait le tempo pour un orchestre qu’il ne pouvait pas entendre.
À la fin, il avait plusieurs mesures de retard et continuait à battre la mesure. De ce fait, la contralto s’approcha et le fit se retourner pour recevoir les acclamations du public qui, contre toute attente, recevait avec enthousiasme cette œuvre révolutionnaire. Selon un témoin, « le public a acclamé le héros musical avec le plus grand respect et sympathie, après avoir écouté ses merveilleuses et immenses créations avec l’attention la plus intense ; il a éclaté en applaudissements de joie, souvent pendant différentes parties, et à plusieurs reprises à la fin ». Le public était debout faisant cinq rappels ; il y avait des mouchoirs en l’air, des chapeaux, des mains levées, de sorte que Beethoven, qui ne pouvait pas entendre ces applaudissements, pouvait au moins en voir les manifestions.
La Neuvième Symphonie est un triomphe en Autriche, mais aussi et surtout en Prusse et en Angleterre, où Beethoven est d’ailleurs tenté de se rendre pour sa démocratie (le lecteur n’aura pas oublié les penchants politiques de notre héros) ainsi que pour son idole, celui qu’il considérait comme le plus grand compositeur de l’Histoire, Georg Friedrich Haendel.
Mais le 30 juillet 1826, le neveu Karl fait une tentative de suicide. L’affaire fait scandale, et Beethoven bouleversé part se reposer chez son frère Johann à Gneixendorf dans la région de Krems-sur-le-Danube, en compagnie de son neveu convalescent. C’est là qu’il écrit sa dernière œuvre, un Allegro pour remplacer la Grande Fugue comme finale du Treizième Quatuor (1826 : écouter la fin). Ainsi, sa carrière de compositeur se termine par un grand éclat de rire !
Le 26 mars 1827, après un long délabrement physique, Beethoven s’éteint à Vienne, victime d’une intoxication sévère au plomb : grand amateur de vin du Rhin, il avait en effet l’habitude de boire dans une coupe en cristal de plomb, en plus de sucrer son vin à l’acétate de plomb…
Dernier grand représentant du classicisme viennois (après Christoph Willibald Gluck, Haydn et Mozart), Beethoven prépara l’évolution vers le romantisme en musique et influença la musique occidentale pendant une grande partie du XIXe siècle. Inclassable ("plusieurs têtes, plusieurs cœurs, plusieurs âmes"), son art s’exprima dans tous les genres, et bien que sa musique symphonique soit la principale source de sa popularité universelle, c’est dans l’écriture pianistique et dans la musique de chambre que son impact fut le plus considérable.
Surmontant à force de volonté les épreuves d’une vie marquée par le drame de la surdité, célébrant dans sa musique le triomphe de l’Héroïsme et de la Joie quand le destin lui prescrivait l’isolement et la misère, il a mérité cette affirmation de Romain Rolland : "Il est bien davantage que le premier des musiciens. Il est la force la plus héroîque de l’art moderne". Expression d’une inaltérable foi en l’homme et d’un optimisme volontaire, consacrant l’art musical comme action d’un homme libre et non plus comme simple distraction, l’œuvre de Beethoven a fait de lui une des figures les plus marquantes de l’histoire de la musique.
Son cercueil sera suivi par au moins 10 000 Viennois (5000 selon la police, 20000 selon les organisateurs). En conclusion, laissons-lui la parole : « La musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie. »