Pour votre plus grand plaisir, voici une analyse du second mouvement de la sonate "Pathétique" de Ludwig van Beethoven.
Ce mouvement lent commence par un thème qui apparaît dès la première mesure pour se terminer à la mesure 8. Nous pouvons d’ores et déjà constater que les carrures de cette œuvre seront très régulières : soit 4 mesures, soit 8 mesures. Ce premier thème, ou « thème A« sera repris à la mesure 9, légèrement modifié (à l’octave supérieure). Considérons-le comme le « thème A bis« ... Il est également construit en 8 mesures et se terminera ainsi à la seizième mesure. Dès la suivante apparaîtra un nouveau thème, que nous nommerons logiquement « thème B« . Il est cependant quelque peu plus long que le « thème A« puisqu’il dure 12 mesures. Cependant, la mélodie en elle-même ne se compose que de 8 mesures, le reste étant un simple pont modulant qui nous ramène vers le « thème A« mesure 29, qui durera comme précédemment 8 mesures, et s’achève à la 36ème mesure. Ainsi, tout ceci formerait un parfait monde clos et ce pourrait être la fin du mouvement. Cependant, l’œuvre serait légèrement trop courte. C’est pourquoi tout ceci ne formait que la « première grande partie« Ceci est confirmé par le « thème C« dans une atmosphère totalement différente qui va beaucoup moduler pour revenir au « thème A« mesure 51. Comme au début, le thème sera joué deux fois et le mouvement s’achèvera. Nous avons donc un plan tripartite ABA. Cependant, en analysant la structure interne du A, on arriverait à la forme finale ABACA. Il s’agit donc bien d’une forme lied mais variée... Voici maintenant une analyse plus détaillée de ce mouvement.
Du point de vue tonal, la tonalité principale est celle de la bémol majeur, sous-dominante de la relative de do mineur, ton principal de la sonate pathétique. On retrouvera le même rapport quelques années plus tard dans la célèbre cinquième symphonie du même auteur.
Le premier élément qui marque l’auditeur, c’est l’absence d’introduction. En effet, le thème commence dès le premier temps de la première mesure, installant par la même occasion le caractère calme et serein de la première mesure. Dans les deux premières mesures, l’ambitus de la mélodie n’est que d’une quarte. En valeur longue, le thème est soutenu par une harmonie à la fois simple et souple... Simple parce qu’il s’agit d’un accord parfait sur des degrés forts, mais souple de part son écriture horizontale et arpégée. On y distingue clairement une texture à trois voix : la mélodie, un accompagnement toujours en double croche entre les deux mains du pianiste, et enfin une basse simple mais très posée. Elle repose sur les temps forts et fait presque office de balancier musical, tel un métronome. On assiste, mesure 3, à une extension de la mélodie par le haut. A la mesure suivante apparaît la première note étrangère: un mi bécarre de passage assez osé puisqu’il va entrer en frottement avec le mi bémol de la basse. Dans la seconde partie de ce premier thème, on va retrouver mesure 5 le balancier mais à la mélodie avec toujours un saut de quinte. Pour donner plus d’unité et de cohésion à ce thème, Beethoven va utiliser une série de croche en levée (ré mes. 2, mi bécarre mes. 4 ...) qui relancent à chaque fois la mélodie.
À la mesure 9, le thème est repris avec un changement notable, la mélodie est une octave plus haute que la précédente. Par conséquent, l’écart entre la basse et le thème est plus conséquent, ce qui permet à Beethoven de changer de texture pour une à quatre voix, dont deux assurant l’harmonie avec leur double croches alors qu’il n’y en avait qu’une avant. Le thème n’en est que plus expressif.
Le thème B, certes dans un caractère différent que le précédent puisqu’il est au relatif (fa mineur), n’en est pas pour autant contrastant. On reste dans une atmosphère sereine, mais l’équilibre est réparti différemment. En effet, la mélodie trouve cette fois-ci une stabilité rythmique avec la cellule récurrente: noire liée à quatre doubles. Du point de vue structurel, l’harmonie est réalisée à la main gauche par des accords plaqués en double croches. On retrouve tout le sens de la dramatisation voire de la théâtralisation Beethovenienne dans le pont transitif, avec ses nombreux chromatismes tenant en haleine l’auditeur...
Même sur le plan visuel, on s’aperçoit rapidement que la troisième idée musicale est très différente. En effet, les triolets de double vont rendre la mélodie plus haletante plus instable. l’explosion arrive à la mesure suivante avec trois accords de plus en plus forts. Le ton assez obscur de la bémol mineur (ton homonyme de lab majeur) renforce cette idée. De plus, pour la première fois, un dialogue entre les deux mains du pianiste fait son apparition. Puis, Beethoven va user de diverses modulations par l’enharmonique sol dièse mineur. En effet, à la mesure 41-42-43, nous serons en mi majeur, qui n’est autre que le relatif de la sous-dominante. Ceci sera souligné par trois accords notés sforzando. On atteindra le Climax du mouvement sur le dernier de ces trois accords. Finalement, c’est ce passage brutal entre lab mineur et mi majeur qui représente le plus le sens du drame Beethovenien: le passage de l’ombre à la lumière (qui annonce par exemple la transition entre le troisième et quatrième mouvement de sa cinquième symphonie). On retrouve le thème C mais transposé en mi majeur. En effet, puisque nous sommes dans un ABA, Beethoven doit amorcer son « chemin retour« . Il procède par enharmonie pour qu’on retrouve nos bémols. La mélodie va procéder une nouvelle fois par mouvements chromatiques descendants.
Beethoven va alors calmer le jeu pour revenir au thème A, mais sous l’influence de la partie centrale comme si l’épisode dramatique avait bouleversé ce thème si serein. En effet, Beethoven, dans sa reprise de la première partie ne va pas faire un « copier/coller« En effet, il va y avoir un élément « nouveau« : les triolets de doubles. Ce qui était caractéristique de la partie centrale se retrouve dans le premier thème, comme si il avait été influencé, contaminé par le passage à l’homonyme. On retrouve notre texture à trois voix, la seule modification étant le rythme de la partie intermédiaire. Conformément au début, 8 mesures plus loin, on a la redite de la mélodie à l’octave, entraînant une texture à 4 voix.
Heureusement, la coda affirme une dernière fois la sérénité de l’œuvre. Elle ne va faire entendre qu’un seul motif, commençant par une montée chromatique accompagnée d’un crescendo, suivie d’une descente en décrescendo pour calmer la musique. Ce même motif sera repris en double octave main droite avant que ce mouvement ne s’achève par une suite d’enchaînements avec une dernière cellule mélodique et lyrique faisant appel aux appogiatures, broderies et autres notes de passage. L’œuvre se termine par trois accords sur la tonique du ton principal.
On a ici l’explication littérale du romantisme: roman. Comme dans un roman, les thèmes apparentés à des personnages évoluent, s’influencent entre eux. Beethoven, avec l’évolution des thèmes, met en place un événement important du 19ème siècle, qu’on retrouvera de manière similaire dans le second mouvement du quintette avec piano de Schumann. Beethoven, à l’aube du 19ème siècle pose ici les bases du romantisme musical.