Pourquoi les femmes occupent-elles si peu de place dans l’histoire de la musique occidentale et des arts en général ?
EXPLICATION IDÉALISTE : tour à tour joie ou tristesse, tendresse ou passion, sérénité ou colère, la musique est par essence féminine. La femme étant elle-même naturellement harmonie, rythme, mélodie... ne peut se sublimer dans la création, sauf exception, étant déjà elle-même une merveille de la création. Par contre elle peut être une excellente interprète en raison de sa sensibilité et de son affectivité.
EXPLICATION PRÉHISTORIQUE : dès les origines, le rôle des femmes et des hommes s’est différencié. Les femmes étant les seules à pouvoir mettre les enfants au monde, il leur est revenu de les élever et d’assumer les tâches domestiques. Les hommes se sont attribué les tâches de protection et de gouvernance, les relations sociales, et par suite la création artistique. Avec la sédentarisation, la propriété privée s’est développée. Pour des raisons de survie chaque homme s’est efforcé de posséder une maison, un troupeau, un terrain cultivé... et une famille, les femmes étant principalement dévolues aux travaux intérieurs. Dans ce contexte d’enfermement, leurs tendances créatrices pouvaient difficilement s’épanouir.
EXPLICATION RELIGIEUSE : la religion n’a fait que renforcer les tendances machistes des hommes en leur fournissant un prétexte pour dévaloriser et enfermer les femmes. « Dieu a créé l’homme à son image, mais il a tiré Ève d’une côte d’Adam », prétend la Bible. On sait que les chrétiens ont beaucoup emprunté à l’Antiquité. Étant donné que, pour les Romains, les musiciennes étaient des esclaves et gagnaient leur vie en se prostituant, les théologiens du Moyen Âge ont conclu que toute femme qui se produit publiquement est une séductrice et une diablesse. Ils ont considèré la voix des femmes comme trop sensuelle et, par une loi de 318 après J.-C., ils leur ont interdit de chanter à l’église. Saint Paul ne dit-il pas dans la Bible : « Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la parole. » Étant donné que la plupart des musiciens, à partir du XIIe siècle étaient formés dans les maîtrises, les femmes n’ont pas eu accès à une éducation musicale, sauf exception, avant la création des conservatoires au XIXe siècle.
MACHISME : longtemps, on a considéré celles qui osaient monter sur une scène comme des femmes de petite vertu. Pour la bienséance, on a le plus souvent fait jouer leurs personnages par des hommes : c’était le cas des pièces de Corneille ou de Shakespeare. À l’opéra, au XVIIe et XVIIIe siècles, on est même allé jusqu’à les remplacer par des castrats. Et le machisme n’est pas mort : pour Herbert von Karajan, « la place d’une femme est dans la cuisine, pas dans un orchestre symphonique. » D’ailleurs, la plupart des grands orchestres internationaux sont en majorité composés d’hommes. Un des plus misogynes est le Philharmonique de Vienne : ce n’est qu’en 1997 qu’il a été contraint de titulariser sa harpiste, après vingt ans d’exercice et faute de candidat masculin. Dans son ouvrage récent, La musique à mains nues, Claire Gibaut raconte ses difficultés pour s’imposer en tant que femme chef d’orchestre.
Étant donné les considérations précédentes, il n’est pas étonnant que peu de femmes aient laissé leur nom dans l’histoire de la musique occidentale, et souvent plus comme épouses, muses ou interprètes que comme compositrices. Citons les moins oubliées :
Au MOYEN ÂGE, l’abbesse Hildegarde de Bingen (1098-1179) nous laisse plus de 70 chants religieux monodiques d’une grande ferveur (écouter une séquence). La poétesse Beatritz de Dia est une des rares femmes troubadour du XIIe siècle (écouter "Pleurs").
Au XVIIe SIÈCLE, Élisabeth Jacquet de la Guerre (1667-1729) fut non seulement une claveciniste prodige mais encore une compositrice appréciée.
À l’ÉPOQUE ROMANTIQUE, la profession commence à se féminiser et les musiciennes les plus célèbres s’appellent :
À la CHARNIÈRE des XIXe et XXe SIÈCLES, quelques femmes parviendront à se faire une place parmi les hommes :
Au XXe SIÈCLE, l’égalité s’instaure toujours difficilement entre hommes et femmes :
Plus d’infos : les femmes et la musique – femmes et musique – femmes compositrices
Les lecteurs que ce sujet passionnent pourront aussi écouter les excellentes petites émissions (14 mn) « Histoire de… » d’Anne-Charlotte Rémond (diffusées en février 2014 sur France Musiques). Elles sont abondamment illustrées d’exemples musicaux :