Note importante : les périodes définies ci-dessous ne sont qu’indicatives : l’histoire n’est pas linéaire, les chevauchements sont permanents.
L’usage de l’adjectif baroque pour qualifier une catégorie esthétique est relativement récent (c’est en 1855 que, pour la première fois, le mot est utilisé pour décrire la période et l’art succédant à la Renaissance sous la plume de l’historien d’art suisse Jacob Burckhardt dans Le Cicerone). Et ce n’est qu’en 1920 que le terme est appliqué à la musique.
Il est issu du portugais barroco et désigne une pierre ou une perle à la rondeur irrégulière. Terme d’abord dépréciatif, il devient synonyme de complexe, tourmenté et, au fond, plus fascinant que bizarre. Né en Italie à la fin du XVIe siècle, le style baroque se répand rapidement dans toute l’Europe, encouragé par l’Église, qui voit là un symbole de rénovation face à la montée du protestantisme : à l’austérité de la Réforme, elle veut opposer l’apparat de la Contre-Réforme !
En peinture, sculpture et architecture, ce style se caractérise par le mouvement des lignes, la prédominance des formes arrondies, la profusion des couleurs, des lumières contrastées, le goût pour les effets dramatiques et l’ornementation... sans négliger l’équilibre général de la composition. Au début du XVIIIe siècle, il évolue vers plus de liberté, de sensualité et d’exubérance : c’est le Rococo.
En musique, le terme baroque s’impose aujourd’hui pour désigner la période qui va de 1600 à 1750, période très riche qu’il est d’usage de diviser en trois :
- débuts du baroque (1600-1650) avec Claudio Monteverdi ;
- milieu du baroque (1650-1700) avec Jean-Baptiste Lully et Henry Purcell ;
- et fin du baroque (1700-1750), moment le plus connu et apprécié, avec François Couperin, Vivaldi, Jean-Philippe Rameau, Johann Sebastian Bach et Georg Friedrich Haendel pour ne citer que les compositeurs les plus célèbres.
Sur le plan du style, la musique baroque présente les mêmes traits généraux que les autres arts : goût pour le mouvement, la fluidité et la métamorphose, exaltation de toute la palette des sentiments : héroïsme, passion, sensualité, fantaisie allant jusqu’au burlesque... Ce n’est pas un hasard si cette période voit la naissance de l’opéra.
Sur le plan du langage musical, la savante polyphonie des siècles antérieurs est progressivement abandonnée au profit de la monodie accompagnée, où la voix supérieure est privilégiée, les voix inférieures étant réduites au rôle d’accompagnement et confiées à divers instruments.
On va plus loin : les voix intermédiaires ne sont même plus notées. Seule la basse est écrite, avec des chiffres en-dessous qui indiquent les accords les plus nécessaires. Le reste de l’arrangement est laissé au jugement et à l’art de l’exécutant : c’est le procédé de la basse continue (ou basse chiffrée) qui, trois siècles avant le jazz, laisse une grande place à l’improvisation.
Bien entendu, le rythme accompagne ces innovations : il devient à la fois plus souple et plus capricieux. Le rythme de la mélodie, qui obéit à l’expression du sentiment, contredit celui de la basse, qui ne lui impose plus aucune contrainte.
Giulio Caccini (1551-1618) écrit dans la préface de ses Nuove Musiche (1601 : écouter un extrait d’Amarilli) : « La compréhension de l’idée et des paroles, leur représentation par l’emploi des notes expressives (corde affetuose) et par une interprétation pleine de sentiment, sont beaucoup plus utiles que le contrepoint pour bien composer et bien chanter dans ce style. »
C’est donc un univers sonore entièrement nouveau qui se forge à la charnière des XVIe et XVIIe siècles, univers qui suscita d’abord la surprise et la stupéfaction, puis l’enchantement des contemporains.
Tout au long de sa vie, Monteverdi a écrit des madrigaux : 9 livres, soit près de 200 pièces, où il expérimente tous les styles polyphoniques (recitativo, espressivo...). C’est là qu’il forge son art. Ses premiers recueils provoquent la stupeur des auditeurs et la fureur des puristes. En préface au Ve livre, il préfère se justifier : « Certains en seront peut-être surpris, ne s’imaginant pas qu’il puisse exister d’autres pratiques que celle enseignée par Zarlino. Mais, en ce qui concerne les consonances et les dissonances, il y a un autre point de vue que la tradition : celui justifié par la satisfaction de l’ouïe et de la raison. » Au fil des années, « l’impression de splendide barbarie va grandissante. Les sentiments sont exprimés avec une puissance frénétique, les instincts se déchaînent. » (Henri Prunières, Monteverdi, éd. Alcan, 1924).
Le madrigal polyphonique du XVIe siècle est donc considérablement élargi. Il peut même devenir une pièce pour la scène avec un véritable petit orchestre. Ainsi, dans le célèbre Combattimento di Tancredi e Clorinda (1624 : écouter un extrait), le récit, confié à un récitant accompagné par 4 violes, contrebasse et clavecin, doit être mimé par les héros. Le poème du Tasse raconte la lutte sauvage entre deux combattants, l’un chrétien, l’autre sarrasin. Tancrède l’emporte mais, quand il ôte le casque de son adversaire touché à mort, il reconnaît Clorinde, la femme dont il s’est épris. Après la première représentation, les auditeurs étaient si bouleversés qu’il n’y eut pas un applaudissement, degré suprême de l’admiration... comme bien plus tard pour le Parsifal de Wagner...
C’est le génie de l’Italie que d’avoir inventé l’opéra. L’idée était dans l’air depuis les années 1570, où l’on rencontre le madrigal dramatique qui fait dialoguer des groupes vocaux. À Florence, on invente le style recitativo qui confie à une voix seule un intermède entre deux épisodes d’une action théâtrale. Puis, dans les années 1590, on en vient à chanter tout le texte et enfin, on le représente sur une scène : cela ne s’appelle pas encore opéra mais pastorale ou dramma per musica. Exemple : l’Euridice de Jacopo Peri (1600 : écouter un extrait).
Ce qui n’est encore qu’un divertissement, Monteverdi va lui donner une force et une intensité qui le fait passer, aux yeux de ses contemporains, pour un barbare. Avec son Orfeo créé en 1607 (il a 40 ans : écouter des extraits), il invente d’emblée le type même de l’opéra baroque : spectacle complet, entièrement chanté, où les voix sont accompagnées par une instrumentation vivante, où la musique épouse étroitement le texte.
L’œuvre a un immense succès et sera représentée dans toute l’Italie. Mais la postérité est ingrate : après sa mort, Monteverdi tombe dans l’oubli et il faudra attendre 1904 pour entendre à nouveau l’Orfeo, dans une adaptation abrégée de Vincent d’Indy à la Schola Cantorum de Paris.
Par ordre chronologique :
- Gregorio Allegri (1582-1652) : célèbre pour son Miserere (1638 : écouter un extrait)
- Girolamo Frescobaldi (1583-1643) : précurseur de Bach (écouter la Toccata n°7 du livre II pour orgue)
- Heinrich Schütz (1585-1672) : premier compositeur allemand d’importance (écouter la n°2 des Sept dernières paroles du Christ)
- Giacomo Carissimi (1605-1674) : célèbre pour son oratorio Jephté (1649 : écouter le chœur final)
Fin XVIIe, le baroque italien se diffuse dans toute l’Europe, notamment en France. Principales personnalités classées par ordre chronologique :
- Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : inventeur de la comédie-ballet où il sait adapter le chant à la langue française, préférant la sobriété au goût italien pour les vocalises (écouter l’Air du froid extrait d’Atys).
- Dietrich Buxtehude (1637-1707) : le jeune Jean-Sébastien Bach fit 400 km à pied pour l’entendre et recevoir ses conseils (écouter un prélude pour orgue).
- Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) : prend la relève de Lully ; écouter le Début de son Te Deum dont l’ouverture orchestrale sert d’indicatif à l’Eurovision et au Tournoi des 6 nations (rugby).
- Heinrich Biber (1644-1704) : écouter le début de L’Annonciation, n°1 des 15 sonates du Rosaire (violon)
- Johann Pachelbel (1653-1706) : surtout connu pour son Canon (vers 1700 : écouter)
- Arcangelo Corelli (1653-1713) : inventeur du concerto grosso (écouter le début du Concerto pour la nuit de Noël)
- Marin Marais (1656-1728) : célèbre gambiste (écouter Les voix humaines et Tourbillon)
- Michel-Richard Delalande (1657-1726) : maître du grand motet français (écouter le début de son Te Deum)
- Henry Purcell (1659-1695) : il synthétise de façon originale les styles français et italien (écouter l’Ouverture puis le Lamento final extraits de son opéra Didon et Énée).
- André Campra (1660-1744) : participe au renouveau de l’opéra français entre Lully et Rameau (écouter l’ouverture de l’Europe galante)
Début XVIIIe, c’est l’Allemagne qui domine le baroque tardif avec Telemann, Bach et Haendel. La France est riche en talents (Couperin, Rameau). L’Italie a de beaux restes (essentiellement Vivaldi).
Principales personnalités classées par ordre chronologique :
- Couperin (1668-1733) : ses 230 pièces pour le clavecin sont autant de petits portraits, paysages ou satires malicieuses (écouter Les petits moulins à vent) ; dans ses Concerts royaux et autres Sonates en trio, il adapte Corelli au goût français ; sa musique religieuse s’élève au niveau de Monteverdi par son expression déchirante (écouter un extrait de la Leçon des ténèbres n°3 et lire Leçons de ténèbres).
- Alessandro Marcello (1669-1747) : connu pour son Concerto pour hautbois en ré mineur (écouter l’adagio), transcrit par Bach pour clavecin
- Albinoni (1671-1751) : voir ci-dessous (un « pieux mensonge »).
- Vivaldi (1678-1741) : célèbre auteur des Quatre Saisons (écouter le début de l’Hiver), d’environ 400 concertos, d’une quarantaine d’opéra et d’une cinquantaine d’œuvres religieuses comme le Gloria RV 589 (vers 1700 : écouter le début).
- Georg Philipp Telemann (1681-1767) : il compose une musique séduisante qui accompli parfaitement la fusion des styles italien, français et allemand (écouter le début de la Suite TWV55 avec flûte).
- Rameau (1683-1764) : « Il y a dans cet opéra (Hippolyte et Aricie) assez de musique pour en faire dix ! » (écouter la scène 3 de l’acte I, «Calme avant la tempête»).
- Bach (1685-1750) : dit "le père de la musique" ; œuvre dévolue au culte et à la dévotion (écouter le 2ème mvt du Concerto pour clavier BWV 1056).
- Domenico Scarlatti (1685-1757) : il renouvelle la technique du clavecin dans ses 555 (environ) sonates (écouter un exemple en ré mineur, L366).
- Haendel (1685-1759) : au contraire de Bach, sa musique est tournée vers le démonstratif et la séduction du public (écouter un air de l’oratorio « Il Trionfo »).
La Querelle des Bouffons démontre la vigueur de la vie musicale à Paris en ce milieu du XVIIIe siècle. Elle éclate en 1752 lorsqu’une troupe itinérante italienne vient donner à Paris La serva padrona (La Servante maîtresse) de Giovanni Battista Pergolèse (1710-1736). Les auditeurs sont séduits par la légèreté et la simplicité de l’œuvre (écouter le début). S’ensuit une bataille de pamphlets qui divise pendant deux ans l’intelligentsia parisienne. Elle oppose les défenseurs de la tradition héritée de Lully (groupés derrière Rameau), et les partisans d’une ouverture au goût italien (réunis autour du philosophe Jean-Jacques Rousseau).
Il est vrai que la polémique dépasse le cadre strictement musical. En fait, c’est la confrontation de deux idéaux esthétiques, voire politiques : le classicisme, associé au pouvoir absolu de Louis XIV, opposé à l’esprit des Lumières. Dans la polémique, la musique si raffinée, si savante de Rameau se trouve mise « dans le même sac » que les pièces de Lully qui lui servent de moule, avec leur attirail de mythologie et de machines auxquels les philosophes veulent opposer la simplicité, le naturel, la spontanéité de l’opéra-bouffe italien.
Personne ne sortira vainqueur de cette vaine polémique…
Le renouveau du baroque au XXe siècle a suscité une multitude de recherches visant à exhumer des compositeurs oubliés. Le zèle des musicologues les a parfois conduit à de « pieux mensonges ». C’est ainsi qu’Albinoni n’a jamais composé le célèbre Adagio pour cordes et orgue en sol mineur qui lui est attribué (écouter la fin). L’œuvre fut en fait imaginée en 1945 par le musicologue Remo Giazotto, soit-disant sur des fragments d’un mouvement d’une sonate en trio retrouvée parmi les ruines de la bibliothèque de Dresde après les bombardements de la seconde guerre mondiale. L’histoire est belle, mais aucune preuve sérieuse de l’existence de ces fragments n’a pu être fournie.
Quelques années seulement séparent la mort de Jean Sébastien Bach (1750) et les premières compositions de Haydn ou Mozart (vers 1760-70). Quelle différence pourtant entre d’une part l’apothéose de la polyphonie et du contrepoint chez le premier, d’autre part le triomphe de l’accord parfait et du thème charmeur chez les seconds ! Que s’est-il passé entre temps ? Une évolution du goût et du style, déjà en germe chez Haendel et Telemann, mais qui s’affirme chez les fils de Bach et autres Stamitz.
La mutation est due pour beaucoup à des facteurs sociologiques : aux côtés de l’église et de la cour émergent des lieux nouveaux : salons, cafés, demeures bourgeoises, salles de spectacle. Un public plus nombreux réclame une musique plus simple et plus chantante, mais plus contrastée et plus riche en émotions. C’est la période du « style galant », équivalent en musique du rococo.
Principales personnalités classées par ordre chronologique :
Louis-Claude Daquin (1694-1772) : très apprécié à l’époque, il fut même préféré à Rameau pour un poste d’organiste (écouter son célèbre Coucou).
Jean-Marie Leclair (1697-1764) : compositeur et violoniste réputé (écouter le début de son Concerto violon-cordes op.10 n° 4).
Johann Joachim Quantz (1697-1773) : professeur et compositeur exclusif de Frédéric II (écouter le Concerto flûte-cordes, sol M, mvt 1).
Wilhelm Friedemann Bach (1710-1784) : son caractère difficile et sa personnalité tourmentée en font un romantique avant l’heure (écouter le début de sa Sinfonia F067 en fa M).
Giovanni Battista Pergolesi (1710-1736) : voir plus haut (Querelle des Bouffons) ; hélas mort à 26 ans, il est aussi resté célèbre pour son Stabat Mater, écrit deux mois avant sa mort (écouter le début).
Frédéric II de Prusse (1712-1786) : monarque ”éclairé”, esthète, philosophe et passionné de musique, c’est aussi un compositeur talentueux (écouter le Concerto en ut M, mvt 3).
Carl Philipp Emanuel Bach (1714-1788) : Hostile au style galant, sont langage personnel est marqué par une grande sensibilité émotive, les contrastes, les dissonances, les brusques silences… (écouter le début de sa sonate WQ 62 n°19).
Christoph Willibald Gluck (1714-1787) : après avoir digéré tous les styles en vogue, il jette les bases de l’opéra moderne dans son Orfeo ed Euridice (1762 : écouter Lamentations et Danse des Furies) : refus de la pure virtuosité au profit du sujet et de la couleur orchestrale (lire La Réforme).
Johann Stamitz (1717-1757) : voir ci-dessous (l’école de Mannheim).
Johann Christoph Friedrich Bach (1732-1795) : surnommé le Bach de Bückeburg, ville modeste dont il fait un centre musical réputé (écouter la Sinfonia HW I n°03, ré m, mvt 1).
Johann Christian Bach (1735-1782) : parfaite illustration du style galant, il a tenté d’opérer la synthèse entre la lumière de l’Italie et la profondeur de l’Allemagne (écouter la Sinfonia op.6 n°6 en sol m, mvt 1).
En 1742, le jeune prince électeur du Palatinat, Karl Theodor, grand amateur de musique (il jouait de la flûte traversière et de la viole de gambe) décide de fonder son propre orchestre. Proposant des conditions de travail bien meilleures qu’ailleurs, il attire à Mannheim, sa ville de résidence, de nombreux excellents musiciens originaires principalement de Bohême.
Avec à leur tête, le jeune Johann Stamitz (écouter le 3ème mvt de son Concerto flûte-cordes en sol M), excellent violoniste, ils constituent une des meilleures formations d’Europe. Ses fils Carl (1745-1801) et Anton (1750-1800) continueront son œuvre. L’ensemble comprendra jusqu’à 90 chanteurs et instrumentistes.
Dans ce foyer très actif dit École de Mannheim se développent la symphonie, héritée de Jean Chrétien Bach, le quatuor à cordes ainsi que le concerto de soliste et surtout la symphonie concertante. En faisant ainsi la transition entre baroque et classique, l’école de Mannheim est très représentative de ce qu’on a appelé le style galant.
Plus d’informations sur Wikipedia : Musique baroque
Pour une introduction à l’histoire de la musique, voir aussi ces sites :
- excellent : http://fr.wikipedia.org/wiki/Histoire de la musique classique occidentale
- très complet : http://www.ars-classical.com/hist-de-la-musique.html
- des origines au romantisme : http://classic-intro.net/introductionalamusique.html (nombreuses illustrations musicales)