Samuel Conlon Nancarrow est né le 27 octobre 1912 à Texarkana, dans l’Arkansas (États-Unis). Indocile dès son plus jeune âge, son père l’expédie dans une école militaire pour y apprendre la discipline. Au lieu de cela, il se retrouve « contaminé par le virus de la musique » et commence à jouer du jazz à la trompette. Conlon est alors envoyé dans une école privée pour faire des études d’ingénieur, mais le vilain garçon préfère s’inscrire au conservatoire de Cincinatti. C’est là qu’il entend le Sacre du printemps d’Igor Stravinski (écouter la fin), dont la complexité rythmique l’éblouit. Il s’intéresse aussi beaucoup au jazz, notamment à Art Tatum pour sa liberté rythmique et sa virtuosité (écouter Tea for two).
Avec Charles Ives et John Cage, Nancarrow est un de ces compositeurs hors normes que la musique classique des États-Unis a produits au XXe siècle. Dès ses premières œuvres, il se signale par l’extrême virtuosité qu’il réclame à ses interprètes (écouter la Toccata pour violon et piano, 1935).
Ses idées progressistes l’amènent à adhérer au Parti communiste et à participer à la Guerre civile d’Espagne en 1937-1938. Blessé, il parvient péniblement à revenir dans l’Arkansas. Rétabli, il repart pour New York où il fait la connaissance d’Elliott Carter, Aaron Copland et Cage. Pour ne pas être inquiété en tant que communiste par le gouvernement américain, il s’expatrie à Mexico en 1940 (il obtiendra sa naturalisation en 1956). Dans ses bagages, il emporte le livre d’Henry Cowell (qui a été le professeur de John Cage vers 1930) qui y décrit une nouvelle approche de la complexité rythmique et suggére d’utiliser le piano mécanique pour automatiser l’exécution. En 1947, il se rend à New York pour y acheter cet instrument magique ainsi qu’une machine permettant de perforer des rouleaux à la main.
Perforant lui-même ses rouleaux, il peut alors se livrer totalement à ses recherches sur la polyrythmie et compose une cinquantaine d’Études d’une grande richesse d’imagination rythmique et structurelle, mais d’une complexité telle qu’aucun interprète ne serait capable de les jouer (voir la n° 3a). Durant des dizaines d’années, il mène ses recherches quasi seul, et ignoré de presque tous. Ce n’est que vers 1980 (à plus de 60 ans) qu’il commence à être reconnu (notamment grâce à Carter et Cage).
Ses dernières œuvres rejoignent les préoccupations d’un Iannis Xenakis ou d’un György Ligeti qui qualifie ainsi sa musique : « la plus grande découverte depuis Webern et Ives… tellement originale, agréable, parfaitement construite mais également émouvante… Pour moi, cette musique surpasse celle de n’importe quel compositeur vivant aujourd’hui. » (écouter le début de l’Étude n° 48). À mesure que s’étend cette popularité nouvelle, les commandes affluent et il se remet à écrire pour de vrais instrumentistes. Exemple : son Quatuor à cordes n° 3, d’une prodigieuse difficulté (écouter le 1er mvt).
Dans les dernières années de sa vie, il tombe gravement malade et envisage de revenir aux États-Unis. Mais on lui dit qu’il devra signer un document stipulant qu’il renonçait à son attachement « juvénile et déraisonnable » au communisme, exigence à laquelle il oppose un refus hautain. Il meurt à Mexico le 10 août 1997.