Rares sont les conservatoires qui ouvrent leurs portes à l’âge où les enfants entrent à l’école maternelle, c’est-à-dire vers 2-3 ans. Des expériences étrangères comme le fameux El Sistema vénézuélien en montrent pourtant tous les avantages. Une jeune musicienne raconte :
« À deux ans, je suis entrée dans le groupe des tout-petits du Nucleo [centre éducatif et artistique local]. On nous faisait découvrir le rythme, puis le chant, et enfin prendre en main de faux instruments en carton pour voir celui qui nous allait le mieux – c’est ce que nous appelons l’orchestre de papier. À six ans, quand j’ai reçu mon premier vrai violon, j’avais déjà une bonne idée de la tenue, des hauteurs du son et de la mélodie. »
En France, quelques conservatoires ont suivi cet exemple. Celui du Pré-Saint-Gervais par exemple propose (ou proposait, leur site n’étant plus accessible), dès l’âge de 3 ans, une sensibilisation à la musique et au geste musical par le jeu et la chanson. L’apprentissage du violon, ou d’un autre instrument, peut alors commencer très rapidement grâce à des pédagogies actives comme la méthode Suzuki.
La carence de la grande majorité des conservatoires amène les parents à se rabattre sur de coûteuses associations privées. Car la mise en place de ces ateliers de sensibilisation à la musique est très chère : elle réclame en effet des professionnels bien formés et des locaux adéquats. Mais la demande des familles vis-à-vis du service public est très forte car elle est gage de qualité (et d’économies). Si bien que de nombreux conservatoires, essentiellement pour des raisons financières, préfèrent transférer l’éveil musical aux écoles maternelles. Ainsi, dans le meilleur des cas, une chaîne éducative « crèche-école maternelle-conservatoire » peut se constituer.
Concernant les crèches, on peut citer le projet des crèches musicales Cap Enfant qui, depuis 10 ans, ont largement montré les bénéfices de la musique (confirmés par les neurosciences) sur le développement cognitif des bébés (dossier à venir).
Ce sont donc les crèches et les maternelles qui mettent en place des ateliers de sensibilisation à la musique en s’appuyant essentiellement sur deux associations de référence : Musique en herbe et Enfance et musique. Elles font appel pour cela à des intervenants formés essentiellement par les CFMI (Centres de Formation des Musiciens Intervenants). Ceux-ci interviennent sur demande et en concertation avec l’institutrice, si celle-ci ne se sent pas à la hauteur.
Alors, pourquoi pas la musique à l’école maternelle ? Les avantages sont nombreux : il n’est pas nécessaire de déplacer les enfants, les espaces de jeux sont variés et les moments d’écoute et de pratique peuvent facilement s’intégrer dans le déroulement de la journée.
Il n’est évidemment pas question de sensibiliser de façon théorique des enfants de trois à six ans. De même que l’on apprend à parler avant d’apprendre à écrire, l’approche de la musique doit d’abord être ludique, faisant intervenir le corps (mimiques, gestes, expression corporelle), la voix (comptines et chansons, onomatopées, vocalises et autres jeux vocaux), activités d’écoute et d’imitation, d’invention et d’improvisation.
Le psychologue Jean Piaget, dans son ouvrage La psychologie de l’enfant, distingue (p. 149) trois sortes de jeux marquant le développement des tout petits : après le stade sensori-moteur (0 à 2 ans environ), abordé dans notre dossier Dès le berceau, vient le stade des jeux symboliques (2 à 4 ans environ) puis intuitifs (4 à 6 ans environ). C’est cette seconde catégorie de jeux qui est exploitée à l’école maternelle. La troisième, qui correspond à la phase des jeux de construction et de règles, est la porte d’entrée dans l’apprentissage du solfège.
À l’ école maternelle donc, ce sont des jeux symboliques qui permettent à l’enfant, notamment par l’expression gestuelle, de s’approprier corporellement les notions de base de la musique (tempo, rythme, nuance, hauteur, timbre, attaque) mais aussi d’exprimer ce qu’il ressent et d’établir une relation avec d’autres enfants. Le musicien et chercheur François Delalande développe l’approche ludique de la musique dans son ouvrage La musique est un jeu d’enfant.
L’institutrice demande aux enfants de présenter à leurs camarades le produit de leur pêche. Par exemple, une petite fille de cinq ans (moyenne section de maternelle) fait entendre le son produit en faisant glisser deux pots de yaourt en verre le long d’un mur granuleux.
L’institutrice lui demande alors de « faire vivre ses sons, de leur faire raconter quelque chose... L’enfant
« commence par faire glisser doucement ses deux pots en décrivant de larges arabesques, puis elle accélère ses mouvements, s’arrête, reprend en intercalant des silences, produit des variations d’intensité et de vitesse, marque un temps d’arrêt un peu plus long que les autres. Pour terminer, elle lève les bras bien haut et fait redescendre ses deux pots le long du mur, puis bloque son geste à la fin de leur trajectoire. [… Ainsi,] d’un jeu tâtonnant utilisant des sons découverts lors d’une phase d’exploration, elle aboutit à une production qui manifeste une intention de communiquer quelque chose à ses camarades, qui témoigne d’une maîtrise de ses gestes et donc des sons qu’ils produisent, allant même jusqu’à les organiser en une forme structurée dans le temps. » (Sylvie Jahier, « Pour une éducation sonore et musicale à l’école », Tréma)
Dans un premier temps, les enfants sont invités à sortir dans la cour de récréation, à fermer les yeux et à mémoriser tout ce qu’ils entendent. Rentrés en classe, ils doivent nommer les sons (souffle du vent, porte qui claque, automobile qui passe au loin, etc.) et s’efforcer de le reproduire. Dans un troisième temps, ils doivent en inventer de nouveaux (aboiement lointain d’un chien, grondement d’un orage, etc.) et improviser collectivement un paysage sonore.
Les enfants sont invités à produire un son correspondant à une situation donnée : avec ma bouche, je fais le fantôme ; avec ma bouche je cours sous la pluie ; avec ma bouche je grimpe à un arbre ; etc.
Les enfants sont d’abord invités à rapporter de chez eux des matériaux de récupération pour créer un instrument produisant des sons correspondants à l’une des quatre actions suivantes : frotter, souffler, frapper ou secouer. Exemples : maracas, flûte de pan, percussion, etc. Ils devront ensuite explorer les ressources sonores de leur instrument. À partir de là, il leur sera possible d’improviser seul ou en petit groupe sur une courte histoire de leur invention.