Un simple coup d’œil sur les commentaires de la page Test de l’oreille absolue suffit amplement à cerner les problèmes qu’elle sous-entend : beaucoup la veulent, peu l’ont…et on ne sait pas vraiment d’où elle vient. Sont-ce des allèles favorables qui, par une grâce divine, choisissent les (mal)heureux détenteurs de ce talent ? Un travail acharné permet-il d’obtenir cette faculté ? Quel est le sens de la vie ? Nous allons explorer quelques pistes pour expliquer le phénomène de l’oreille absolue, et tendez bien vos oreilles car on vous livre même les conseils pour une oreille en béton (cf. figure ci-contre).
Il faut distinguer oreille absolue passive (OAP) et oreille absolue active (OAA). L’OAP est la faculté d’identification instantanée d’une note sans que cette dernière soit mise en relation avec une autre. Si les détenteurs de l’OAP n’ont que la capacité d’identifier une note (le « que » ici, ne vous y trompez pas, ne sert pas à dévaloriser ceux désignés), ceux qui ont l’OAA peuvent en plus de cela les chanter sur demande. Les oreilles les plus fines, OAA et OAP confondues, peuvent même entendre des différences au Hertz, voire à la fraction de Hertz…imaginez un peu un de ceux-là qui écouterait un altiste débutant et qu’on enverrait à l’asile à peine cinq minutes plus tard.
Dans l’oreille se trouve une multitude de petits capteurs, de cils, qui captent les informations auditives et les transmettent au cerveau. On dispose d’un stock de ces cellules magiques et non-renouvelables à la naissance, et ces cellules régissent à une fréquence qui leur est spécifique. La finesse de l’oreille dépend donc de la sensibilité - qui diminue avec le temps - de ces cellules (c’est bien connu, les musiciens sont de grands sensibles dominants et toniques). C’est là la part du don inné, naturel, car on ne peut pas améliorer dans l’absolu les performances de ces cellules. Des recherches sont en cours pour établir un lien entre les gènes et l’OA, mais ce n’en est qu’au stade de conviction scientifique pour l’instant, il n’y a aucun résultat probant.
Destin fatal pour ceux qui n’ont pas l’oreille fine ? Pas vraiment, car il y a un organe que l’on peut travailler et modeler : le cerveau. La mémoire joue en effet un rôle primordial, puisque finalement le tout de l’OA est d’associer un son au nom d’une note. Ceci se retrouve même dans les IRM fonctionnelles. Le cerveau est doté d’une plasticité, d’une habilité à se développer, à se modifier en adaptant ses différentes régions pour servir au mieux son propriétaire. Un aveugle « aménage », par exemple, les aires visuelles pour qu’elles servent à d’autres sens, en particulier l’ouïe. Si la nécessité peut pousser à ces modifications, il faut savoir qu’un entraînement régulier provoque des modifications au niveau céphalique. Chez un musicien, l’écoute ne stimule pas uniquement l’aire auditive primaire (surface supérieure du lobe temporal), mais aussi l’aire du langage (celle de la compréhension, que l’on voit sur l’hémisphère gauche), et plus généralement l’aire auditive associative, celle qui permet d’associer un son à son sens. Ces aires sont encore plus stimulées chez les individus ayant l’oreille absolue, et l’oreille absolue surtout manifestée chez des musiciens qui pratiquent depuis leur plus jeune âge. La musique est donc une langue que l’on se doit d’apprendre avec patience et savoir-faire !
Le test peut sembler simple : on fait écouter une note et on demande de l’identifier, de lui mettre un nom dans un diapason donné. Mais ceci présuppose une base en solfège, une certaine formation musicale préalable, et implique donc que la population inculte non formée à la musique n’a pas l’oreille absolue puisque tous ses individus échoueraient au test, à moins d’avoir une chance incroyable, au quel cas autant investir son temps dans les lotos et non dans la musique.
J’ai donc essayé de vérifier ce présupposé en menant une expérience sans signification statistique aucune sur des musiciens et des non-musiciens. Je leur demandais de chanter un air de leur choix, puis je leur donnais un accord et ils devaient me chanter quelque chose qui commençait par cet accord. Et j’ai eu la surprise de trouver une personne non-musicienne et dont l’ouïe n’est pas au top de ses capacités qui a des symptômes relevant de l’OA. J’ai réitéré mon expérience plusieurs fois sur cette personne, et toujours le même résultat. Cette personne rechante des mélodies quasi systématiquement sans les transposer (elle chante, pour ne citer qu’un exemple, la musique de La Liste de Schindler dans le ton original), et elle entend une différence entre deux accords de même composition. Cela veut dire qu’elle entend systématiquement une différence entre deux accords majeurs distincts, même joués à plusieurs jours d’intervalle.
Ce résultat aurait pu remettre en question le caractère « empirique » de l’OA, mais cette personne a été en contact avec la musique et un musicien tous les jours depuis 14 ans. Cependant, on a aussi le cas d’enfants issus de familles absolument pas musiciennes et qui présentent très tôt les signes de l’OA et le cas inverse, des musiciens en herbe en contact quotidiennement avec la musique depuis leur naissance et qui pourtant n’arrivent pas à identifier des notes. De cette expérience on peut déduire (ou pas) une chose, c’est que les non-musiciens pourraient aussi avoir l’OA, et que par conséquent il pourrait y avoir plus de personnes ayant l’OA que ce que les statistiques laissent entendre. Il faudrait réussir à établir un test (peut-être – ou peut-être pas – un peu plus précis que celui proposé dans la petite expérience hein, restons modestes) qui permette de vérifier universellement si un individu a ou n’a pas l’oreille absolue, pour avoir sur le long terme plus de données à exploiter pour déterminer la cause de ce don si mystérieux (ceci dit, si le test est efficace, pas touche, c’est mon mien).
Le travail, le travail, et encore le travail ! Ca semble être le seul moyen pour l’obtenir et la garder. Comme on a dit, la musique est un langage, et il faut s’entraîner à la comprendre et à l’exprimer. Voici donc nos conseils pour une oreille qui fera des jaloux !
Enfin, sachez que si vous avez été capables de lire ceci, c’est qu’il est déjà un peu tard pour être aussi doués que ceux qui étaient déjà diagnostiqués à 7 ans, et que vous n’aurez probablement l’OAA, en admettant qu’on puisse l’avoir, que très tard dans votre entraînement. Mais ne perdez surtout pas espoir, la persévérance est la clé du succès !