Gustav Mahler est décédé le 18 mai 1911, il y a un siècle exactement. L’occasion de rendre hommage à ce musicien hors du commun. Il n’est certes pas nécessaire de faire connaitre Mahler : le compositeur autrichien est partout en ce début de XXIe siècle : salles de concerts, innombrables disques, ouvrages : on pourrait presque dire que Mahler est « à la mode ». Cet engouement n’est pas récent et a commencé principalement après la seconde guerre mondiale grâce au travail de plusieurs chefs d’orchestres. Car Mahler n’a pas toujours eu la côte. Fréquemment et parfois violemment critiqué de son vivant, attaqué pour ses origines juives, il fut mis à l’index par le nazisme. Les innovations introduites par ses œuvres l’ont fait traiter de fou. Mais Mahler écartait ces critiques d’un revers de main, il savait avoir le génie pour lui : « Mon temps viendra », disait-il. Il n’est pas le seul précurseur à avoir subit de telles difficultés pour imposer sa musique : ainsi Hector Berlioz écrivait-il à la fin de sa vie « Quel talent je vais avoir demain, on va enfin jouer ma musique !». Berlioz était lui aussi confronté à la réticence du public et des critiques face à ses innovations. Il fut aussi l’un des premiers à prendre conscience que la musique orchestrale nouvelle, telle qu’il la concevait, nécessitait un musicien particulier pour la diriger : le chef d’orchestre. Avec Félix Mendelssohn-Bartholdy et quelques autres précurseurs, Berlioz posa les bases de la direction d’orchestre. Mendelssohn et Berlioz furent parmi les premiers compositeurs-chefs. Une lignée qui allait se perpétuer.
La postérité est parfois capricieuse : Berlioz et Mahler ont finalement vu (du moins, s’ils nous observent depuis l’Au-delà ) leur œuvre reconnue et même triompher. Tel ne fut par exemple pas le cas de Wilhelm Furtwängler. Aujourd’hui connu comme un chef d’orchestre quasi légendaire dont les enregistrements restent inoubliables même après cinquante ans, Furtwängler se considérait pourtant lui-même comme un compositeur, avant tout. Il avouera que la direction d’orchestre l’avait sauvé, sa carrière de compositeur n’ayant pas pris la tournure voulue. Pourquoi insister autant sur la direction d’orchestre dans un hommage à Mahler ? Pour rappeler, ce que l’on a aujourd’hui tendance à éclipser, que la direction occupa la majeure partie de la vie de Mahler, et que c’est en tant que directeur d’opéra et chef d’orchestre qu’il acquis sa plus grande renommé – de son vivant du moins. Mahlereu… pardon Malheureusement (oui bon elle était prévisible), le compositeur-chef autrichien n’aura pas connu l’enregistrement audio. Contrairement à Wilhelm Furtwängler qui a pu bénéficier de l’essor de l’enregistrement dans les années 40 et début 50 principalement, Gustav Mahler n’a pas pu laisser de trace de son travail d’interprète. Si l’on excepte quelques rouleaux de piano magnétiques enregistrés par Mahler au piano – un réduction pour piano de sa Quatrième symphonie.
Sa filiation d’interprète se fit par transmission, par héritage. Principalement via deux de ses élèves qui connurent par la suite une grande carrière de chef d’orchestre : Bruno Walter et Otto Klemperer.
Le poste majeur de la vie de Mahler fut naturellement celui de directeur de l’Opéra de Vienne. Poste difficile, car nécessitant énormément d’implication, et parce que perpétuellement exposé aux critiques, que Mahler occupa néanmoins pendant… Il pu ainsi diriger d’innombrables concerts et opéras, choisir ses interprètes, former son orchestre, partir en tournée. Quand, épuisé par les cabales incessantes et la xénophobie des milieux viennois, Mahler décida de quitter son poste en 1908, il fut accueilli à bras ouverts, via un pont d’or, par le Metropolitan Opera de New York, maison encore jeune mais qui allait s’imposer au cours du XXe comme l’une des plus prestigieuses au monde.
D’une santé fragile, en proie à des difficultés familiales, Mahler ne pu profiter longtemps de son nouveau poste. Sentant peut être la fin venir, il rentra mourir à Vienne.
En dépit des reproches qu’il encourait, les critiques s’accordaient généralement pour louer la direction prodigieuse de Mahler et les sonorités inouïes qu’il parvenait à obtenir des orchestres. Faute d’enregistrements, nous devrons donc nous fier aux extraits d’époque de la presse viennoise pour ce qui est des qualités de chef de Mahler. Le lecteur intéressé pourra à ce sujet consulter la monumentale biographie consacrée à l’Autrichien par Henri Louis de La Grange (Fayard).
Pour rendre hommage non seulement au compositeur mais aussi au chef d’orchestre et interprète que fut Mahler (et aussi afin de ne pas faire doublon avec notre biographie du compositeur), Symphozik a voulu proposer une discographie de son œuvre. Il est évident ici qu’il ne s’agit pas de parler de tous les enregistrements (tâche colossale, il existe des milliers d’enregistrements et pratiquement aucun mois ne passe sans que de nouvelles versions sortent). La rédaction n’a pas non plus la prétention de présenter les « meilleures » versions, un tel jugement étant beaucoup trop subjectif pour avoir une quelconque valeur. Nous nous contenterons donc juste de proposer quelques disques qui nous semblent dignes d’intérêt, et permettront d’orienter le lecteur désireux, à l’occasion de cet anniversaire, de se replonger dans l’œuvre de Mahler. Il est vrai qu’on se perd facilement dans la discographie pléthorique consacrée au compositeur autrichien qui comprend, il faut bien le dire, de l’excellent comme du très médiocre.
L’essentiel du corpus Mahlérien est naturellement constitué de ses symphonies. Homme d’orchestre, Mahler ne composa quasiment pas de musique de chambre, hormis un Mouvement de quatuor avec piano, dans sa jeunesse : l’œuvre est peu connue mais mérite plus qu’un détour, c’est un petit bijou. A cela il faut naturellement ajouter les Lieder avec piano, bien que la grande majorité de ses Lieder existe également en version orchestrale.
Les symphonies, donc : il en existe de nombreuses intégrales. Leur nombre, curieusement, peut varier. Sur le papier, neuf sont achevées (numérotées de 1 à 9). On peut ajouter Le Chant de la Terre, œuvre hybride entre symphonie et cycle de Lieder, que Mahler considérait lui-même comme une symphonie avec voix. Cela porterait le compte à dix. Enfin, il faut citer la Dixième symphonie, sur laquelle travaillait Mahler au moment de sa mort. Le premier mouvement, Adagio, est le seul complet, les quatre suivants n’existant qu’en réduction d’orchestre, non orchestrée ni finalisée. Cette Adagio de la Dixième symphonie est souvent interprété seul, aussi bien au concert comme au disque. Il faut dire que le mouvement dure, selon les conceptions personnelles que Mahler avait de la forme symphonique, environ 25 minutes : autant qu’une symphonie classique toute entière. Il existe néanmoins des partitions de la Dixième symphonie complétées et orchestrées par des musicologues : on parle de « versions de concert ». La plus célèbre est celle du musicologue anglais Deryck Cooke, réalisée avec l’aval de la veuve du compositeur, Alma Mahler. Vous trouverez donc parfois des versions complètes de la dixième symphonie, étant entendu que les quatre derniers mouvements restent des hypothèses, tentant de se rapprocher le plus possible de ce qu’avait imaginé Mahler mais ne pouvant évidement aller plus loin.
Il est difficile de conseiller une intégrale de symphonie par un chef et un orchestre : certains sont des réussites indéniables, mais la perfection n’étant pas humaine il y a toujours des baisses de tensions, des œuvres moins réussies. Pour pallier à cet inconvénient, deux grandes majors du disque, EMI et Universal Music (qui détient Deutsche Grammophon et DECCA), ont eu l’idée brillante de proposer des intégrales composées d’une sélection des meilleurs enregistrements piochés dans leurs très vaste catalogue. Premier conseil donc, pour ceux qui voudraient se lancer à l’eau tête la première : le coffret proposé par Deutsche Grammophon qui regroupe l’intégrale absolue de l’œuvre Mahlérienne. En 18 CD, la messe est dite : on y retrouve la fine fleur des chefs, des orchestres et des chanteurs dans des versions généralement célèbres parmi les critiques et les mélomanes du monde entier. (Par exemple la 2e de Zubin Mehta, la 3e de Bernard Haitink, la 5e de Bernstein, la 8e de Solti, la 9e de Herbert von Karajan… etc). Ajoutez aux symphonies les cycles de lieder d’une interprétation tout aussi excellente, le Mouvement de quatuor avec piano et même quelques curiosités.
Le coffret concurrent d’EMI, peut être légèrement moins brillant, n’en est pas moins très intéressant, et certains conseillent d’ailleurs, vu le prix modique des deux coffrets, d’acquérir les deux en complément. Signalons aussi que DG a également publié une intégrale des symphonies basée sur la sélection des mélomanes – suite donc à un sondage. Le contenue est pratiquement équivalent au coffret précédent, qui reste préférable.
Pour les intégrales intéressantes, citons celles de Bernard Haitink, grand Mahlérien, ou encore celle beaucoup moins connue du tchèque Vaclav Neumann, qui permet de découvrir une approche différente de cette musique, moins germanique (rappelons que Mahler est né sur le territoire de l’actuelle République Tchèque)
De nouveaux conseils discographiques arriveront prochainement ;)
Première symphonie | - Leonard Benstein/ OP Vienne (DG) : Version splendi - Karel Ancerl/ OP Tchèque (Supraphon) - Bruno Walter: plusieurs versions |
Deuxième symphonie | - Zubin Metha - Otto Klemperer - Claudio Abbado - Vclav Neumann |
Troisième symphonie | - Bernard Haitink - Vaclav Neumann - Kirill Kondrachine |
Cinquième symphonie | - Riccardo Chailly - Leonard Benstein |
Sixième symphonie | - Valery Gergiev - Georg Solti |