Pressé(e) ? Découvrez la biographie courte de D’Albert
Eugen (né Eugène) d’Albert est né le 10 avril 1864 à Glasgow (Écosse), d’une mère anglaise, Annie Rowell, et d’un père allemand d’origines françaises et italiennes (une vraie multinationale), Charles Louis Napoléon d’Albert, pianiste et compositeur qui compte parmi ses ancêtres le compositeur Domenico Alberti. Son père est âgé de 55 ans à la naissance d’Eugen, qui passe une enfance assez solitaire et dans l’ensemble assez malheureuse, expliquant en partie sa future aversion pour son pays natal.
Il grandit à Glasgow et reçoit ses premières leçons de musique de son père, avant de bénéficier en 1876 d’une bourse pour étudier à Londres à la National Training School for Music (prédécesseur du prestigieux Royal College of Music). Ses professeurs sont Ernst Pauer (piano), Ebenezer Prout (heureusement que je n’ai pas l’humour puéril), John Stainer et Arthur Sullivan, directeur de l’établissement.
C’est son talent de pianiste qui le fait d’abord remarquer. En 1880, il interprète le Concerto pour piano de Robert Schumann au Crystal Palace (un palais d’exposition londonien qui brûla en 1936). Le journal The Times est impressionné par Eugen, écrivant « on a rarement entendu une meilleure interprétation de cette pièce » (le journal avait déjà fait l’éloge du musicien en 1878).
Il est également l’auteur de l’ouverture de l’opéra Patience ainsi que d’une réduction pour piano du Martyre d’Antioch, deux œuvres de son ancien maître Sullivan.
Pendant des années, d’Albert fut pourtant extrêmement critique envers l’Angleterre : il y serait né par accident et n’y aurait rien appris. Il mettra par la suite un peu d’eau dans son whisky.
Dès 1879, Anton Rubinstein lui-même lui prédit un « succès mondial », et en 1881, c’est Hans Richter qui se propose de diriger le premier concerto pour piano de d’Albert (on considère qu’il s’agit d’un concerto en la Majeur, aujourd’hui perdu, et non de son Concerto pour piano n° 1, op. 2) : l’œuvre est reçue avec enthousiasme.
La même année, il gagne la Bourse Mendelssohn, grâce à laquelle il part étudier à Vienne, où il rencontre Johannes Brahms, Franz Liszt, Eduard Hanslick, et d’autres musiciens d’importance qui influencèrent son style en tant que compositeur, très ancré dans la tradition brahmsienne. Enthousiaste au sujet de la culture germanique (« entendre Tristan et Iseult a eu plus d’influence sur lui que l’éducation de son père ou de la National Training School for Music » : ses œuvres lyriques empruntent de nombreux traits à Richard Wagner, notamment l’emploi du leitmotiv), il émigre en Allemagne et va jusqu’à germaniser son prénom (Eugène devient Eugen). À Weimar, il devient l’élève de Liszt.
En Allemagne, il poursuit sa carrière de pianiste. Preuve de son talent, Liszt le surnomme « le nouveau Tausig » (du nom de l’un de ses meilleurs élèves, Carl Tausig, mort à 29 ans en 1871). Grâce à la technologie alors naissante, des interprétations de Liszt par D’Albert sont trouvables de nos jours (écouter ci-dessous).
En 1882, d’Albert interprète son propre Concerto pour piano avec l’Orchestre philharmonique de Vienne en 1882 (il est le plus jeune pianiste à avoir joué avec ce célèbre ensemble). Il donne de nombreuses tournées de concerts, y compris aux États-Unis de 1904 à 1905. Sa technique est comparée à celle de Busoni. Ses interprétations des préludes et fugues de Johann Sebastian Bach ainsi que des sonates de Ludwig van Beethoven sont acclamées : on lui connaît peu de rivaux pour ces dernières.
En 1890, il crée le Burlesque en ré mineur de Richard Strauss, qui lui est dédié.
Il est également un professeur demandé qui transmet la tradition pianistique de Liszt à ses élèves, parmi lesquels on compte Wilhelm Backhaus, Lubka Kolessa ou encore Edwin Fischer.
Progressivement, d’Albert fait passer sa carrière de compositeur avant celle de pianiste. Son temps sur scène est réduit au profit d’une œuvre assez prolifique. Il compose beaucoup de musique de chambre (pièces pour piano, 58 lieder,…) mais aussi une vingtaine d’opéras et de nombreuses œuvres instrumentales.
En 1907, d’Albert succède à Joseph Joachim à la tête de la Hochschule für Musik de Berlin, poste qui lui donne une grande influence sur l’éducation musicale allemande. Il fut également Maître de chapelle à la cour de Weimar.
En 1914, il déménage à Zurich et acquiert la nationalité suisse. Il meurt le 3 mars 1932, âgé de 67 ans, à Riga (Lettonie), où il réglait les détails de son…sixième divorce (voir en fin d’article pour la rubrique people). Il est enterré à Morcote, près du lac de Lugano, en Suisse.
Il compose de nombreuses pièces pour piano, de la musique de chambre, ainsi que 58 lieder qui connaissent le succès.
Citons également ses 21 opéras, pour la plupart créés en Allemagne, et leurs styles si différents : le premier, Der Rubin (« le rubis », 1893) est une fantaisie orientale ; Die Abreise (« le départ », 1898) est une comédie ; Kain reprend l’histoire biblique de Caïn ; Der Golem est quant à lui basé sur un thème traditionnel juif. Parmi les plus appréciés, citons Die toten Augen (« les yeux morts », 1916), Flauto solo (1905, comique), mais surtout Tiefland (1903).
Tiefland est créé à Prague en 1903. Il sera par la suite joué dans le monde (musical) entier, et devient un standard des répertoires allemand et autrichien (l’opéra allemand de Berlin l’a encore donné en novembre 2007). Selon The Times de l’époque, on sent dans cet opéra la discipline de Sullivan et une « curieuse influence anglaise » (écouter sur Youtube).
Selon le biographe Hugh Macdonald, « Tiefland fait le lien entre le verismo italien et l’opéra expressionniste allemand, même si la texture orchestrale rappelle plutôt le langage wagnérien ».
Le film homonyme de Leni Riefenstahl se base sur cet opéra.
Quant à ses autres œuvres les plus appréciées, on peut citer son Concerto pour violoncelle (1899, écouter le final), une Symphonie, deux quatuors à cordes et deux concertos pour piano.
Eugen d’Albert ne fut pas un compositeur profondément original, mais son sens dramatique inné lui a permis de réussir dans beaucoup de styles différents.
Parmi ses amis, il compte Richard Strauss, Hans Pfitzner, Engelbert Humperdinck, Ignatz Waghalter et le dramaturge Gerhart Hauptmann.
Marieur en série, d’Albert comptabilise six mariages et huit enfants (c’est pas pour dire, mais Bach en a eu 20 avec seulement deux mariages).
Comparant ses mariages avec les symphonies de Beethoven, il aurait déclaré à un ami qu’il comptait se marier jusqu’à la neuvième, « avec chœur ». Malheureusement, il ne vécut que jusqu’à la Pastorale.
Brahms ironisait sur le compère, trouvant « profondément monotone que d’Albert ait la même femme que lors de sa dernière visite ».
Sa seconde femme, la pianiste, chanteuse et compositrice Teresa Carreà±o, avait elle-même été déjà mariée, d’où la fameuse blague qui circulait sur le couple : « Venez vite ! Vos enfants et mes enfants se disputent encore avec nos enfants ! ».