Si vous consultez cet article dans l’espoir de décrocher le poste de vos rêves au risque de court-circuiter une personne plus méritante, passez votre chemin ! Le ”piston” dont il s’agit ici n’est pas non plus l’ingénieux mécanisme qui a fait la fortune du moteur à explosion ; cet hommage est rendu à ce dispositif si pratique qui équipe les instruments à vent de la famille des cuivres (les bois sont quant à eux équipés de clés) et leur permet d’accomplir des prouesses techniques impossibles auparavant.
Avant de poursuivre, voici un petit intermède musical : c’est l’piston !
La réponse n’est pas simple ; ce qu’on peut dire, c’est que ça s’est passé au début du XIXe siècle et que plusieurs personnes s’en sont mêlées. Jugez plutôt…
Les cuivres baroques (cor, trompette, trombone…) étant dépourvus de pistons n’émettaient que les harmoniques naturelles d’un son fondamental, harmoniques obtenues par pression plus ou moins forte des lèvres : pas facile !
Le Cantor de Leipzig avait une façon bien à lui d’exploiter les défauts des instruments de son époque à des fins expressives. Dans sa cantate BWV 77 « Tu aimeras le seigneur ton Dieu », un air d’alto, avec trompette obligée, déplore les vaines tentatives des hommes pour vivre selon les lois divines. Bach s’arrange alors pour glisser dans la partie de trompette ce qu’il appelle des « intervalles maladroits » et des « notes sauvagement instables ». On a ainsi l’impression que l’instrument sonne faux, ce qui colle parfaitement avec les imperfections humaines dont parle le texte (écouter).
En modifiant la longueur du circuit d’air, on change de note fondamentale et on obtient un nouveau jeu d’harmoniques, permettant ainsi de couvrir tous les demi-tons de l’ambitus de l’instrument. C’est ce que l’on a essayé de faire au XVIIIe siècle par la "technique des sons bouchés" ou par l’utilisation de clés, ou encore d’une coulisse (dont le trombone est encore équipé) : pas évident !
L’invention du piston au XIXe siècle a révolutionné le jeu des cuivres ; il permet en effet de changer la note fondamentale de façon pratique et précise, grâce au réglage de la longueur du tuyau additionnel qui lui est associé. Les photos ci-dessous illustrent le principe.
Piston au repos : l’air circule librement à travers le piston | Piston enfoncé : le circuit d’air est plus long, entraînant une note fondamentale plus grave |
Autre schéma :
Le piston apparaît sur un cor vers 1815. Il est adapté au cornet à pistons et à la trompette vers 1820 par Heinrich Stölzel, puis mis définitivement au point par François Périnet en 1839. Adolphe Sax, l’inventeur du saxophone, l’adaptera vers 1845 à la nouvelle famille des saxhorns (également de son invention).
Essai de chronologie :
1788 : Invention d’un mécanisme du genre piston par un Irlandais. Le texte de la demande de brevet n’est pas clair, l’idée n’a pas abouti.
1815 : H. Stölzel joue, à Berlin, sur un cor muni de pistons. Mais on ne sait pas sous quelle forme se présentait le mécanisme.
1820 : Stölzel fait fabriquer avec Blühmel une trompette munie de pistons à boîte, qui ont extérieurement une forme carrée.
1827 : Blühmel tente d’obtenir un brevet pour un mécanisme à boîte tournante, mais n’y parvient pas.
1835 : Un piston court et épais permettant de ramener les trajets de l’air sur un seul plan est inventé.
1839 : Le piston Périnet est inventé : c’est celui utilisé dans la plupart des pays aujourd’hui.
1845 : Adolphe Sax équipe de pistons la nouvelle famille qu’il invente et qui sera appelée « saxhorns ».
Le cornet est le premier instrument, après le cor, à être équipé de pistons en 1820. A l’origine, il avait la forme d’un petit cor (photo 1 ci-dessous) et servait aux postillons pour annoncer leur arrivée avec la malle du courrier. Wolfgang Mozart le met en scène dans sa Sérénade "Posthorn" (écouter). Au XIXe siècle, il est muni d’une embouchure de trompette, dont il prend la forme (photo 2 ci-dessous), et de deux puis trois zéro pistons : il devient ainsi un instrument très véloce et réputé facile à jouer. Il pénètre donc tout de suite dans les milieux populaires (noces et banquets : écouter un exemple).
1. Cornet de poste (Posthorn) | 2. Cornet à pistons moderne |
Son tube conique lui donne un son plus doux que la trompette, c’est un instrument soprano, généralement en si b ou en la. Le cornet à pistons a été très vite employé dans la musique classique, par Gioacchino Antonio Rossini et Hector Berlioz dans sa Symphonie fantastique, puis par Georges Bizet dans Carmen et Piotr Ilitch Tchaïkovski dans Le lac des cygnes. Igor Stravinski lui donne un rôle important dans L’histoire du soldat (écouter). Bien qu’il soit souvent utilisé à l’orchestre, il n’y figurera jamais de façon permanente à la différence de la trompette.
La trompette bénéficie elle aussi vers 1820 de l’invention des pistons. Elle peut ainsi jouer facilement toutes les notes de la gamme. La trompette moderne comprend une embouchure, un tube cylindrique, 3 pistons et un pavillon : voir l’image ci-dessous.
Les trompettes les plus courantes sont la soprano en si b ou en ut surtout utilisées dans les orchestres symphoniques et la piccolo en si b surtout utilisée dans le registre aigu de la musique baroque (écouter le début du 3e mvt du 2nd Brandebourgeois de Johann Sebastian Bach).
La trompette à pistons s’imposera rapidement dans la musique militaire mais plus lentement dans le milieu symphonique car sa perce parfaitement cylindrique pose des problèmes de justesse pour des raisons physiques. La modulation de l’embouchure et l’adaptation de la colonne d’air, et – un peu – des lèvres, permettent de corriger ce problème de justesse.
La trompette de poche (pocket trumpet) est particulièrement adaptée aux enfants par sa taille et son poids mieux réparti car elle n’est pas déséquilibrée vers l’avant. Contre toute attente, elle a la même longueur de tube que la trompette normale car celui-ci est plus enroulé. Le son diffère légèrement, à cause d’un pavillon plus petit (rayonnement acoustique différent) et du fait d’un tuyau différemment courbé. |
Vers 1815, le corniste Dauprat reçoit d’Allemagne des instruments à pistons : il n’est pas convaincu, les trouvant peu maniables, manquant de sonorité et de justesse. D’autre part, il semble inconcevable à Dauprat, comme à la plupart de ses collègues, de se passer des embouts supplémentaires (dits "tons-de-rechange" : photo 1 ci-dessous) qui permettaient au cor en fa de changer de tonalité. Seulement voilà : le transport de tous ces embouts dans une boite lourde et encombrante n’était pas très pratique ; c’est ce qui avait poussé les facteurs allemands à chercher une alternative alors qu’en France et en Belgique on travaillait surtout à améliorer le système des tons-de-rechange.
Dès 1815 le facteur français Jean-Baptiste Dupont avait proposé un cor "omnitonique" sur lequel les tons de rechange sont intégrés à l’instrument (photo 2 ci-dessous). Un tube mobile permet d’ouvrir l’embout souhaité et de fermer les autres ; le changement de tonalité est facilité, mais l’instrument est considérablement alourdi, ce qui ne facilite pas le jeu. Il sera donc progressivement abandonné.
Un autre défaut pèse sur les cors sans piston, c’est le caractère "détimbré" des notes obtenues par la "technique des sons bouchés" (écouter un court extrait d’un Rondo de Mozart). C’est pourquoi un cor à deux pistons est inventé en Allemagne (par Stölzel ?) vers 1815. Il sera amélioré en France vers 1830 par Pierre-Joseph Meifred qui met au point un système à trois pistons tout en conservant les anciens tons-de-rechange. Comme il l’écrit en 1841 dans sa Méthode pour le cor chromatique ou à pistons : « Il s’agit avant tout de ne pas priver les compositeurs des tons-de-rechange, qui ont, chacun, une couleur spéciale, mais aussi de conserver au cor la physionomie particulière que lui donne le mélange des sons bouchés avec les sons ouverts ».
Alors que la France reste attachée au système des tons-de-rechange jusqu’à la fin du XIXe siècle, c’est le cor uniquement équipé de pistons qui triomphe en Allemagne, et c’est là qu’est inventé vers 1830 le piston rotatif qui équipe maintenant les cors utilisés dans tous les orchestres (voir photo 3 ci-dessus).
L’invention du tuba découle de celle du piston. Vers 1835, le directeur général des musiques militaires de Prusse, demande à l’ingénieur allemand Johann Gottfried Moritz de lui fabriquer un cuivre grave à pistons qui pourrait avoir un timbre plus homogène et puissant que celui des ophicléides et bassons russes. De nombreux facteurs contribueront à l’élaboration de l’instrument.
Parallèlement, Sax travaille à améliorer le bugle, puis développe une gamme d’instruments, déclinée en sept tailles et tonalités différentes (du contrebasse au sopranino), qu’il présente en 1844 et qui rencontre un grand succès sous le nom de "saxhorns".
En 1858, Gustave-Auguste Besson (1820-1874), autre facteur parisien important, lassé par les nombreux procès avec Sax, délocalise son atelier à Londres. C’est là qu’il fait évoluer le saxhorn basse vers le tuba ténor aussi appelé euphonium.
Les familles des tubas et des saxhorns sont intimement liées : de même que le saxhorn basse devient le tuba ténor, le saxhorn contrebasse évolue vers le tuba basse, qui est le "tuba" de l’orchestre symphonique actuel ; le terme simple de "saxhorn" désigne alors le saxhorn basse ; le terme simple de "baryton" désigne quant à lui le saxhorn baryton. La famille des saxhorns trouve plutôt sa place dans les fanfares. Le saxhorn soprano, ou bugle, est très apprécié dans le jazz.
Une certaine confusion règne donc dans la grande famille des tubas concernant le nom et les particularités techniques des diverses formes d’instruments, et on ne sait plus trop qui a inventé quoi. Les termes employés dépendent de l’origine géographique ou historique de l’instrument, voire du point de vue de l’utilisateur. Aucun système normalisé ne permet à ce jour de satisfaire tout le monde.
En France, dans les conservatoires, l’instrument étudié est le tuba basse en fa, appelé simplement "tuba". Il est le plus grave des cuivres, il se caractérise par la douceur et la chaleur de son timbre, et surtout par sa grande tessiture : il couvre quatre octaves du grave à l’aigu ce qui est considérable pour un instrument à vent. Écouter une démonstration.
La note et le volume des cuivres peuvent aussi être modifiés à l’aide d’une sourdine. La plus courante est la sourdine sèche utilisée en musique classique, pour atténuer le son de l’instrument. Elle en modifie aussi quelque peu le timbre (exemples). Il existe aussi une sourdine dite "muette" qui diminue la puissance du son et permet de travailler en appartement sans trop gêner les voisins (enfin, ceux qui n’aimerait pas la musique…).
Dans l’orchestre symphonique actuel qui comporte quatre cuivres, trompette, cor, tuba et trombone, ce dernier semble faire bande à part puisqu’il est muni, non de pistons, mais d’une coulisse. Pourtant, il existe bien un trombone à pistons !
Le trombone à pistons a un registre comparable à celui du trombone ténor. L’articulation est différente, plus proche de celle de la trompette, et il permet une dextérité difficile à obtenir avec une coulisse. Mais il est difficile à jouer juste, et il est de moins en moins utilisé de nos jours, sauf dans les orchestres d’harmonie allemands. Même s’il est moins virtuose, le trombone à coulisse permet de résoudre facilement ces problèmes de justesse. D’autre part, la coulisse permet de produire aisément des effets de glissando dont ne se privent pas des compositeurs comme Maurice Ravel ou Stravinsky (écouter un extrait du Vivo de Pulcinella). Ce sont ces qualités qui font que la coulisse l’a emporté sur les pistons et on pardonne au tromboniste d’empiéter sur l’espace vital de ses voisins d’orchestre à cause des mouvements de sa coulisse.