Le XIXe siècle est une période essentielle pour l’évolution de la facture des instruments à vent. Pour la flûte traversière, Theobald Boehm invente un système de clétage qui équipe aujourd’hui tous les ”bois”. Quant aux ”cuivres”, l’invention du piston en augmente considérablement la virtuosité, les possibilités techniques et le confort de jeu. Les améliorations du pupitre des cuivres correspondent à la volonté des compositeurs d’être servis par un orchestre plus brillant (cf. le gigantisme dans la musique).
Tout au long du XIXe siècle, les modifications apportées aux instruments à vent entraînent l’élévation du diapason et apportent à l’orchestre une couleur plus éclatante. Parallèlement, les pupitres de chaque instrument augmentent en nombre, ce qui déchaîne des fortissimos spectaculaires. Seulement voilà : les musiciens sont soumis à des niveaux sonores qu’on ne soupçonne pas. La « Chevauchée des Walkyries » peut faire grimper le sonomètre jusqu’à 137 dB, soit la puissance d’un avion au décollage ! Pour éviter la perte d’audition et autres acouphènes, la plupart des orchestres distribuent des protections auditives aux musiciens. Certains se font même réaliser des bouchons d’oreilles sur mesure qui atténuent le son sans enlever sa finesse, tout en restant discrets. Plus d’infos
Parmi les facteurs d’instruments qui ont marqué l’évolution des instruments à vent, il faut mettre en avant le rôle joué par Adolphe Sax, artisan particulièrement inventif… qui a contribué sans le savoir au marché des bouchons d’oreilles.
Antoine-Joseph "Adolphe" Sax naît le 6 novembre 1814 à Dinant en Belgique. Très jeune, il prend exemple sur son père qui était facteur d’instruments. Dès l’âge de 15 ans, il présente deux flûtes et une clarinette à un concours. Il s’attache particulièrement à la clarinette dont il devient un virtuose, à tel point qu’il est interdit de concours dans son pays ! C’est aussi à l’amélioration de cet instrument qu’il consacre d’abord son travail et dépose ses premiers brevets.
En 1841, il déménage à Paris et réalise le premier saxophone. Un baryton en fa qui possède toutes les caractéristiques de l’instrument d’aujourd’hui : la forme conique, le tube métallique, le bec à anche simple et le système de clefs. Mais ce n’est qu’en 1849 qu’il présente les brevets de la famille entière des saxophones. Ces instruments font sa réputation et lui assurent un poste d’enseignant au conservatoire de Paris en 1857.
Sax continue par la suite à fabriquer des instruments à vent auquels il apporte de nombreux perfectionnements. À la demande de Richard Wagner, il conçoit en 1876 un instrument hybride entre un cor d’harmonie et un tuba pour entonner le motif du Walhalla dans L’Anneau du Nibelung. Il l’appelle « tuba wagnérien » bien qu’il dérive plutôt du cor (il est d’ailleurs joué par les cornistes) : en savoir plus.
Mais les troubles politiques et économiques de la période (révolution de 1848, coup d’État de 1851, Commune de Paris en 1870...) auront raison de son entreprise. Adolphe Sax fait faillite à plusieurs reprises et décède à Paris le 7 février 1894 (il avait 89 ans).
basse en si b |
baryton en mi b |
ténor en si b |
alto en mi b |
soprano en si b |
Adolphe Sax précise ses intentions dans son brevet : « On sait que, en général, les instruments à vent sont ou trop durs ou trop mous dans leurs sonorités. [J’ai voulu créer] un instrument qui par le caractère de sa voix pût se rapprocher des instruments à cordes, mais qui possédât plus de force et d’intensité que ces derniers. » C’est en 1849, lors de l’Exposition universelle de Paris, qu’il présente la famille entière des saxophones : les saxos contrebasses, barytons, altos, ténors, soprano et sopranino. Les amateurs de musique s’émerveillent devant l’invention. À commencer par Hector Berlioz, qui réalisera la première oeuvre dans laquelle quelques notes de saxophone résonneront pour la première fois : Le Chant sacré.
« Ces nouvelles voix données à l’orchestre possèdent des qualités rares et précieuses. Douces et pénétrantes dans le haut, pleines, onctueuses dans le grave, leur medium a quelque chose de profondément expressif. C’est en somme un timbre sui generis, offrant de vagues analogies avec les sons du violoncelle, de la clarinette et du cor anglais, et revêtu d’une demi-teinte cuivrée, qui lui donne un accent particulier. […] Le timbre des notes aiguës des saxophones graves a quelque chose de pénible et de douloureux, celui de leurs notes basses est au contraire d’un grandiose calme pour ainsi dire pontifical. Tous, le baryton et le basse principalement, possèdent la faculté d’enfler et d’éteindre le son ; d’où résultent, dans l’extrémité inférieure de l’échelle, des effets inouïs jusqu’à ce jour, qui leur sont tout à fait propres et tiennent un peu de ceux de l’orgue expressif. Le timbre du saxophone aigu est beaucoup plus pénétrant que celui des clarinettes en si et en ut, sans avoir l’éclat perçant et souvent aigre de la petite clarinette en mi. On peut en dire autant du soprano. Les compositeurs habiles tireront plus tard un parti merveilleux des saxophones associés à la famille des clarinettes ou introduits dans d’autres combinaisons, qu’il serait téméraire de chercher à prévoir. »
Comme la clarinette, que Sax adorait, le saxophone appartient à la famille des bois et son embouchure est à anche simple, rattachée au bec par une ligature (voir photo ci-dessus). C’est aussi un instrument transpositeur : selon sa taille il est en mi bémol ou en si bémol. Il ne doit pas être confondu avec le saxhorn, de la famille des cuivres, mis au point, lui aussi, par Adolphe Sax. Le saxophone est généralement en laiton, bien qu’il en existe certains modèles en cuivre, en argent ou plaqués-or. Le bec est en ébonite, en métal ou en bois. L’anche est en roseau ou en matière synthétique ; c’est sa vibration qui provoque l’émission du son en se transmettant à la colonne d’air contenue dans le corps de l’instrument.
C’est d’abord à l’opéra que le saxophone trouve sa place avec notamment : Georges Bizet (l’Arlésienne), Giacomo Meyerbeer, Léo Delibes, Jules Massenet (Werther), Camille Saint-Saëns, Vincent d’Indy, etc. Mais une cabale dressée contre Sax empêche l’instrument de percer au sein des orchestres réputés. Le seul domaine où il s’impose est celui des musiques militaires (ce qui n’améliore pas son image). Durant la guerre de 1870, la classe de Sax se vide, ses élèves étant rappelés sous les drapeaux, et elle est fermée définitivement. Le saxophone subit donc une longue période de désaffection dont le sortiront quelques rares compositeurs. Il continue cependant à être apprécié aux Etats-Unis.
C’est l’été 1901, Achille Claude Debussy prépare l’exécution de Pelléas et Mélisande ; il est contacté par une riche américaine, Élise Hall, pour composer une œuvre pour saxophone : elle aime particulièrement cet instrument dont elle joue elle-même, et elle sollicite de nombreux compositeurs pour développer son répertoire. Debussy accepte la commande (et l’argent qui l’accompagne), il manque cependant d’enthousiasme pour l’honorer : occupé et épuisé par Pelléas, il a du mal a s’y mettre.
Deux années s’écoulent, il a mauvaise conscience, il tourne la chose à la plaisanterie : « Le saxophone est un animal à (h)anche simple dont je connais mal les habitudes […] - Ça ne te paraît pas indécent, une femme amoureuse d’un saxophone, dont les lèvres sucent le bec en bois de ce ridicule instrument ? – Ça doit être sûrement une vieille taupe qui s’habille comme un parapluie » (juin 1903). Lorsqu’il parvient enfin à se mettre au travail, le ton change et cette composition semble fermer la parenthèse improductive qui a suivi son opéra. Dans le courant de l’été 1903, il termine la partition alors nommée dans sa correspondance « Rhapsodie orientale avec saxophone obligé » (écouter un extrait). Et au début du mois d’août, il s’attaque aux « trois esquisses symphoniques » de La Mer… une nouvelle aventure commence.
Épilogue : sitôt terminée, il vend la pièce à son éditeur (ainsi payée deux fois) et ce n’est que cinq ans après qu’il l’enverra à sa commanditaire, récompensant enfin « sa patience de Sioux » (selon son expression) !
Le saxophone doit attendre la réouverture d’une classe au Conservatoire en 1942 pour retrouver un certain crédit auprès des institutions. Entre-temps cependant d’éminents compositeurs n’ont pas attendu pour le mettre à profit : notamment Darius Milhaud qui exploite son timbre sensuel et de nostalgique dans La création du monde (1823 : écouter) et Maurice Ravel qui l’inclut dans l’orchestration des Tableaux d’une exposition (1922) ainsi que dans son Boléro (1928 : écouter). On peut encore citer la Suite du Lieutenant Kijé (1934) de Sergueï Sergueïevitch Prokofiev, Jeanne d’Arc au bûcher (1935) d’Arthur Honegger, le Concerto à la mémoire d’un ange (1935) d’Alban Berg, et autres compositeurs : Zoltà¡n Kodà¡ly, Jacques Ibert, André Jolivet, etc.
Après sa réintégration au Conservatoire, le saxophone connaît un regain d’intérêt dans le domaine de la musique de chambre. Les virtuoses nouvellement formés commandent des œuvres à des compositeurs comme Iannis Xenakis (écouter), Luciano Berio (écouter), Philip Glass (écouter), Arvo Pärt (écouter), etc. Il faut noter le succès particulier d’une formule comme le quatuor de saxophones pour lequel les interprètes écrivent de nombreuses transcriptions (rechercher un exemple ainsi que l’Adagio de Samuel Barber).
Le saxophone aura donc parcouru un long chemin musical. Son plus grand voyage ? La traversée de l’Atlantique, direction les États-Unis. Au début du XXe siècle, des mélomanes fortunés se l’approprient et commandent des œuvres comme on l’a vu avec Debussy. Dans les années 20, il intéresse de grandes figures du jazz comme Fletcher Henderson ou Coleman Hawkins (écouter). Apprécié au départ par Berlioz, le voilà adoré par les jazzmen (écouter un solo de John Coltrane).