Johann Sebastian Bach. Certains le considèrent insurpassé malgré la concurrence que lui opposent Wolfgang Mozart et Ludwig van Beethoven. Il est possible de se demander si Bach est baroque ou simplement Bach. Je pense que Bach a réellement une esthétique baroque, une fibre baroque même si la profondeur de son œuvre est au dessus d’un style formel et d’une école particulière et les limites qu’elle impose (l’application quasi dogmatique d’une théorie). Alors pourquoi baroque ? La musique de Bach adopte les rondeurs, les vagues, les courants contraires (le contrepoint) et le flot de notes (propre à Bach et Domenico Scarlatti) du baroque. Les notes ne jaillissent jamais comme chez Mozart et n’adhèrent que rarement à une architecture basée sur la fracture, comme celle d’un poète des sons à la Beethoven. Il se plait à ajouter des ornements architecturaux soit pour renforcer l’ombre du doute ou le sautillement guilleret avec une trille joyeuse. La musique de Bach est particulièrement belle. Le flot de notes déversées s’organise par un jeu polyphonique où les voix se répondent de façon inégalable. Quand une voix exprime un sentiment de joie voire de volupté, l’autre répond avec mélancolie voire douleur. Le génie est que ces voix se répondent parfois sur la même ligne mélodique. La douleur source de dissonances est une face cruciale de la musique de Bach. Elle contient parfois un déchirement dont la force confond l’auditeur et réveil une sensation particulière. Cette sensation est un long frisson qui glace car cette musique touche par son humanité, son impact sur l’humain. Elle rentre en nous et alimente nos sens car elle est empreinte de l’humain et du divin à la fois.
D’où la seconde question que l’on peut se poser après voir vu sa forme : quelle est la nature de cette musique ? En fait, la musique de Bach est quelque part très rationnelle. Elle a une grammaire stricte et rigoureuse. Le continuel flot de notes est très pensé, le contrepoint est presque arithmétique (mathématiques qui annonce la musique du XXème siècle), et il y a parfois une certaine prévisibilité des réponses dans les phrases musicales (quatrième suite pour violoncelle). Le rythme est important, parfois linéaire, diabolique à respecter. Le rubato est interdit. Pourquoi ce rythme si strict et rationalisé ? D’où le contrepoint de ma thèse : la musique de Bach a une forme rationnelle et un fond irrationnel. Reprenons la question du rythme. En effet, ce respect fondamental réprime les passions romantiques de l’humain. Il y a donc une ombre irradiante qui plane sur cette musique : celle de la figure la plus irrationnelle qui soit : Dieu. La musique de Bach tournoie, illumine tel un ange ou reflète l’ombre de l’humain et son intérieur (elle cherche d’une matière géniale à le maîtriser). En effet une lumière divine venue les Cieux semble parfois nous éclairer —non, le mot est faible— nous éblouir. Ou bien Bach transcrit la nature humaine avec son ombre, sa douleur, son mystère et ses passions proprement inexplicables. Mais il y a toujours une oscillation entre cette passion naturelle et une recherche de la maîtrisée par une forme très pensée, donc un balancement entre irrationnel et rationnel. Cette musique exalte nos sens car on sent sa lumière et son ombre nous envahir avec volupté, cependant sa forme incite à expulser la déraison et à faire jouir l’humain par l’artisanat d’un serviteur de Dieu.
Finalement, la forme très pensée de l’œuvre apparaît comme un coup de génie et nos sens parle à la place de notre raison. Ainsi, la forme qui relève de l’artisanat musical le plus génial jamais produit nous guide, sans effusion et explosion d’émotion, vers la beauté qui exalte l’humain et ses sens. Notamment son sens du sacré et des mystères de ce monde que nous percevons mais que nous somme incapables de déchiffrer. C’est un déchiffrement qui n’est possible, à travers la musique de Bach, que par un voyage où fusionnent une forme rationnelle et une nature musicale dont la puissance musicale tient du miracle et de l’irrationnel.
Dossier rédigé par ludwig