Pressé(e) ? Découvrez la biographie courte de Bülow
Hans von Bülow fut l’une des personnalités musicales les plus en vue de son époque, que ce soit pour son talent ou pour son sale caractère (voir notre anthologie de ses meilleures répliques). Il a donné plus de 3000 concerts dans sa double carrière de chef d’orchestre et de pianiste, et a parcouru une douzaine de pays. Considéré comme l’un des plus grands interprètes de Richard Wagner mais aussi de Ludwig van Beethoven, il préfigure également les futures générations de chef d’orchestres virtuoses. Nous vous proposons de découvrir maintenant sa vie passionnante.
Connu pour ses impressionnantes carrières de chef d’orchestre et de pianiste, il ne faut pas oublier qu’il fut également compositeur, avec quelques dizaines de pièces à son actif
Hans Guido von Bülow, né dans la ville allemande de Dresde le 8 janvier 1830, est le premier des trois enfants du Baron Karl Eduard von Bülow et de sa femme Franziska (née Stoll), un couple déjà instable qui finira par rompre en 1849. Le nouveau-né est de santé fragile ; l’enfant sera régulièrement victime de fièvres chroniques et autres maladies. C’est d’ailleurs pour tuer le temps pendant une longue convalescence qu’un Hans alité commence à déchiffrer et à mémoriser des partitions de Johann Sebastian Bach ou de Ludwig van Beethoven. Ce passe-temps devient vite une passion et une fois guéri, il peut recevoir (en plus de son éducation générale) des cours de musique qui le familiarisent davantage à Bach, Beethoven ou Wolfgang Mozart.
Le 20 octobre 1842, ayant assisté à la première de l’opéra Rienzi de Richard Wagner (alors Kapellmeister de l’Opéra royal de Dresde), il devient un inconditionnel du compositeur. À cette époque, il fait également la connaissance de Franz Liszt, invité chez les von Bülow au cours d’une tournée à Dresde. Il deviendra plus tard l’élève, l’ami puis le beau-fils du célèbre musicien, en épousant sa fille Cosima en 1857.
Pensant que son intelligence le destine à une carrière plus prestigieuse à leurs yeux que la musique, ses parents l’envoient à Leipzig afin de le préparer à des études de droit, tout en l’autorisant à y suivre les cours de Louis Plaidy (piano) ainsi que de Moritz Hauptmann (harmonie et contrepoint). Il travaille d’arrache-pied pour concilier sa passion avec ses études. À 14 ans, il est un pianiste accompli au répertoire déjà vaste (des études de Frédéric Chopin aux 48 Préludes et Fugues de Bach, en passant par exemple par des pièces plus techniques de Carl Czerny ou d’Ignaz Moscheles) ; pourtant, sa première apparition publique en tant que pianiste n’aura lieu que le premier janvier 1848, à Stuttgart.
En 1845, notre ami a pour professeur Friedrich Wieck, le père de Clara Schumann (et par conséquent, le beau-père de Robert Schumann), et rencontre même Felix Mendelssohn-Bartholdy, qui lui donne un cours privé qui durera plusieurs heures.
L’année suivante, le jeune homme a enfin l’occasion de rencontrer son idole, Wagner, à qui il enverra quelques œuvres de jeunesse. La réponse de Wagner à ces dernières, assez élogieuse, sera conservée comme une relique par son jeune admirateur.
À l’automne 1848, pour contenter ses parents, Hans Guido von Bülow débute ses études de droit à Leipzig. Hébergé chez des parents, il entre cependant en conflit avec eux en raison de sujets politiques (dont l’insurrection de Dresde, à laquelle prit d’ailleurs part Wagner). Après une visite rendue à Liszt à Weimar, il continue donc ses études à Berlin.
Lorsqu’il découvre qu’aucun journal berlinois ne daigne s’intéresser aux derniers écrits de Wagner, « L’Art et la Révolution » et « L’œuvre d’art du Futur », le musicien décide de s’essayer à la critique musicale ainsi qu’à la politique en contribuant au journal démocrate Die Abendpost. Il critique aussi bien l’Opéra Royal (où il ne sera par conséquent jamais invité à diriger par la suite, même en tant que chef d’orchestre renommée) que la monarchie, en passant par les critiques « officiels », et devient rapidement persona non grata dans les cercles musicaux berlinois. En 1852, il écrira une critique au vitriol sur une chanteuse de renom, Henriette Sontag, provoquant l’indignation générale, jusque dans sa propre famille (il se justifia longuement dans une lettre écrite à son père, qui avait en conséquence rompu provisoirement ses relations avec son fils).
Après avoir assisté à la première de Lohengrin de Wagner, dirigée par Liszt à Weimar, Bülow est désormais convaincu qu’il ne peut faire carrière que dans la musique, et cherche donc à obtenir l’approbation familiale. Si son père cède assez rapidement, il faudra l’intervention de Wagner et de Liszt et de nombreuses années de diplomatie pour essayer d’infléchir la position de sa mère.
Son premier emploi dans cette carrière, il le doit à Wagner, qui s’est depuis les événements de Dresde exilé à Zurich. Un petit coup de piston, et le voici chef d’orchestre au théâtre de la ville, où il perfectionne son art de la direction. Malheureusement, il n’y améliore pas ses qualités diplomatiques : après à peine trois mois et une dispute avec une chanteuse (qui lui reproche de diriger un opéra comme une symphonie dans laquelle les chanteurs devraient se frayer un passage), Bülow est renvoyé.
C’est ensuite à Saint-Gall, toujours en Suisse, que Wagner le recommande pour une saison. Cet ensemble amateur s’honore d’un tel chef, qui y gagne quant à lui une réputation locale aussi bien à la tête de l’orchestre (notamment avec Der Freischütz de Carl Maria von Weber) qu’en tant que pianiste (avec une interprétation d’une adaptation de l’ouverture de Tannhäuser à laquelle assiste notamment Wagner lui-même). À l’issue de son contrat à Saint-Gall, Bülow retourne à Weimar et s’installe chez Liszt, qui lui conseille comme gagne-pain principal la carrière de pianiste virtuose, plutôt que celles plus hasardeuses de chef d’orchestre ou de compositeur.
Après presque deux ans, Liszt estime que son élève est désormais prêt pour une première tournée européenne. En 1853, elle le conduira à Vienne, à Budapest (bon, à l’époque, elle s’appelait seulement « Pest », mais cette dernière soit de ces villes qui fusionnent et changent de nom comme de chemise), à Dresde puis à Leipzig. L’accueil que lui réserve la capitale autrichienne n’est pas des plus chaleureux, dans un contexte de « pré-guerre des Romantiques ». Mais à Budapest, la réception est au contraire très positive : à l’issue de cette première tournée, la réputation de Bülow s’est encore étendue et il peut enfin prétendre à une carrière de virtuose. Liszt lui-même ne le considère plus comme son élève, mais comme « son héritier et successeur ».
Hé non, les romantiques de l’époque ne sont pas des peace and love. La guerre des romantiques éclate officiellement en 1860, après de longues tensions entre deux groupes : les « conservateurs » (Clara Schumann, Joseph Joachim, Johannes Brahms,…) et les « réformateurs » de la nouvelle école allemande (Liszt, Bülow,…). Pour ces derniers, les formes musicales classiques (ex. : symphonie) doivent être remplacées par des notions modernes (ex. : poème symphonique).
En 1859, les réformateurs évoquent une « nouvelle école allemande ». Brahms et Joachim, croyant à une provocation, réagissent en rédigeant un « Manifeste » équivalant à une déclaration de guerre. Cerise sur le gâteau, le 6 juin 1860, un proche du groupe des réformateurs organise des festivités à l’occasion du 50e anniversaire de Schumann (mort en 1856) dans la ville natale de ce dernier : même sa veuve ne sera pas invitée. Cette division mèner…euh, perdurera jusqu’à la Première Guerre mondiale.
Malgré la mort récente de son père qui l’afflige profondément, Hans rejoint Liszt en octobre au festival de Karlsruhe et y gagne enfin une réputation nationale en Allemagne. Lors d’un séjour à Dresde, il retrouve Hector Berlioz (rencontré en 1852 au premier « Festival Berlioz » organisé par Liszt à Weimar) et entame une correspondance amicale avec le Français.
Pour des raisons notamment financières, il doit ensuite accepter un poste de professeur de musique au château de Chocieszewice, en Pologne. Après quelques mois difficiles, il rencontre à Berlin Adolf Marx, cofondateur de l’actuel Conservatoire Stern et ami de Liszt, qui lui propose le poste de professeur principal de piano dans son établissement. Bülow saute sur l’occasion et, en avril 1855, prend officiellement ses fonctions au Conservatoire où il restera neuf ans.
En juillet 1855, Hans von Bülow fait à Berlin la connaissance des deux filles de Liszt, Blandine et Cosima. Cette dernière, presque 18 ans, toutes ses dents et déjà pianiste accomplie, le séduit rapidement. Quelques mois après, un couple est formé, sous le regard dubitatif de Liszt, qui consent tout de même à cette liaison. Cosima épouse Hans le 18 août 1857. Leur lune de miel les mène ensuite en Suisse, où Hans ne peut résister à la tentation de rendre visite à Wagner, à qui il présente donc tout innocemment sa nouvelle épouse…
La renommée toujours croissante du jeune marié lui permet d’arrondir ses fins de mois avec une clientèle privée des plus prestigieuses : elle compte en effet dès la première année la fille du Prince de Prusse, Louise.
Comme chef d’orchestre, il se consacre en partie à faire découvrir des compositeurs modernes. Leurs noms étant inconnus du public, il use d’une stratégie marketing rodée : pour être plus « présentables », et attirer le chaland, les noms modernes comme César Franck, Robert Volkmann, Liszt ou encore Schumann apparaissent sur les programmes aux côtés de Mozart, Bach ou Beethoven. En quelques années, ses concerts attirent déjà beaucoup l’attention à Berlin, pour le meilleur ou pour le pire, faisant de Bülow le fer de lance de l’avant-garde musicale berlinoise.
C’est l’époque où les nombreux fronts de la Guerre des Romantiques s’ouvrent en Allemagne et en Europe. De Berlin, le stratège inspire des stratégies similaires à Szczecin (Pologne, avec Alexander Ritter), à Londres (Karl Klindworth) et même à Vienne (Carl Tausig).
Louis II de Bavière, grand mécène de Wagner devant l’Éternel, invite en 1864 Hans von Bülow à les rejoindre à Munich. Le monarque souhaite créer une École Royale bavaroise de Musique et charge les deux musiciens de ce projet. Sur la recommandation de Wagner, von Bülow est successivement nommé directeur du nouvel établissement puis Kapellmeister (maître de chapelle) du Roi. Tristan et Iseult (1865) et Les Maîtres Chanteurs de Nuremberg (1868) connurent à Munich un grand succès sous sa férule.
En 1868, c’est l’émotion qui transparaît à la Une du People Zeitung : après un long effritement de son mariage, Cosima s’enfuit du domicile conjugal pour retrouver son amant, Wagner (au moins, elle ne l’a pas trompé avec le premier chef de gare venu), emportant avec elle les quatre filles du couple (dont les deux dernières sont en fait celles de son amant). Bülow refusera toujours de laisser ces dernières prendre le nom de Wagner. Le divorce entre Hans et Cosima est prononcé en 1870. Inutile de dire que l’admiration qu’avait Bülow pour Wagner en fut quelque peu bouleversée. Malgré tout, Hans saura distinguer l’homme, avec qui il cessa toute relation, du compositeur dont il restera un fidèle promoteur, continuant à diriger ses œuvres et le pleurant à sa mort.
Le 19 août 1869, c’est un Bülow déprimé par l’effondrement de son couple qui quitte définitivement Munich pour la ville italienne de Florence. Comme beaucoup de musiciens allemands, il tombe sous le charme de ce pays. Il en apprend la langue et reprend goût à la vie, lui qui avait sérieusement envisagé le suicide. Sentimentalement, il a quelques béguins passagers pour quelques jeunes Italiennes. Financièrement (parce que ça compte aussi, oui oui), sa situation d’abord précaire est finalement assurée par des cours privés de piano ainsi que par une pension que Louis II lui verse.
Il voyage un peu, en Allemagne (notamment pour son divorce) et en Italie. On lui propose la direction artistique de la Société Philharmonique de Vienne, mais il refuse, trop désireux de poursuivre son séjour italien. À Milan, il participe aux célébrations du centenaire de Beethoven, comme pianiste et comme chef d’orchestre.
En octobre 1871, Bülow se fend d’une visite surprise à Liszt à Rome à l’occasion de l’anniversaire de son vieux professeur. Au nouvel an suivant, c’est Liszt qui surprend Bülow à son arrivée à Vienne. Hans prévoit en effet une tournée ambitieuse : de Vienne, il prend la direction de Pest, passe encore (et entre autres) par Berlin, Varsovie (où il refuse la direction de l’Opéra national, poste prestigieux mais qui l’aurait privé de toute influence sur la scène musicale européenne), Cologne. En quelques mois, il donne 61 concerts, acclamés aussi bien par le public que par la critique. Preuve de sa fidélité envers le compositeur Wagner, il donne à partir d’avril 1872 une série de récitals destinés à lever les fonds nécessaires pour la naissance du Festival de Bayreuth.
À partir de fin avril 1873 et pour environ un an, Bülow fait ses premières armes en Angleterre où ses concerts connaissent le même succès que sur le continent. Il continue ensuite par une tournée à l’est, qui le mène jusqu’à Moscou et Odessa, en passant par Vilnius, Kiev ou encore Riga : il parcourt des milliers de kilomètres en train (sûrement que les contrôleurs aériens faisaient grève). D’Odessa à Moscou, il lui faut ainsi passer 64 heures dans les transports.
Enfin, après un mois de tournées ininterrompues, il est de nouveau en Italie, à Milan. Mais il s’y met rapidement à dos les autochtones en rédigeant une critique incendiaire de Giuseppe Fortunino Francesco Verdi, qu’il accuse de « corrompre le goût artistique en Italie ». Des années plus tard, en 1892, Bülow exprimera ses excuses au compositeur (qui les acceptera fort gracieusement) pour son erreur de jugement. Mais pour l’heure, les menaces physiques que font peser sur lui les tifosi pro-Verdi contraignent l’Allemand à quitter Milan pour Florence.
Malheureusement, des symptômes de plus en plus inquiétants pertubent le musicien : en plus d’une attaque survenue en Angleterre, sa main droite ainsi que certaines parties de son corps sont parfois paralysées. Les médecins diagnostiquent différentes causes mais ne peuvent proposer un remède efficace.
Après quelques déceptions financières, Bülow décide de s’embarquer pour les États-Unis, accompagné de son nouvel agent, Bernard Ullman.
C’est notamment la première du Concerto pour piano de Piotr Ilitch Tchaïkovski, le 25 octobre 1875, qui retient l’attention. On se souvient que l’œuvre, tout d’abord destinée à Nicolas Rubinstein, avait été sèchement rejetée par ce dernier. Avec Bülow au piano et Benjamin Lang à la baguette, le concerto triomphe à Boston. Tchaïkovski est ravi.
Évidemment, le répertoire américain de Bülow fait également la part belle à Beethoven, Wagner ou Liszt (une liste exhaustive serait cependant un peu longue).
Bülow se plaît aux États-Unis, pays qu’il trouve infiniment plus moderne que son Allemagne natale. Il songe même à s’expatrier définitivement dans ce pays, mais le projet échoue. Cependant, par deux fois, en 1889 et en 1890 (je me permets une ellipse temporelle), il retournera au pays de l’Oncle Sam : il y dirigera notamment le Philharmonique et l’Orchestre symphonique de New York, et y jouera son fameux récital Beethoven (il y joue les œuvres dans l’ordre chronologique de leur composition, afin de faire suivre au public l’évolution musicale du compositeur).
Malheureusement, le 9 mai 1876, de retour d’un concert, Bülow tombe de nouveau malade et doit annuler la trentaine de concerts restant. De retour en Europe, il connait encore une période de troubles et de profonde dépression. Il passe beaucoup de temps en cure dans des villes thermales avec sa sœur Isidora.
Un an de cures plus tard, il reçoit une invitation à diriger à Glasgow qu’il accepte avec enthousiasme, tant son premier séjour dans la ville lui avait plu. Parallèlement, il est nommé chef d’orchestre au Théâtre royal de Hanovre par son ami Hans Bronsart von Schellendorff, alors directeur de l’institution : selon les termes de leur accord, Bülow pourra séjourner à Glasgow de novembre 1877 à janvier 1878, et sera remplacé à Hanovre pour cette période. Son contrat avec Hanovre est d’ailleurs assez libéral et lui permettra de continuer à lever des fonds pour le Festival de Bayreuth en donnant de nombreux récitals ailleurs en Europe, dont à Bayreuth.
C’est à Hanovre qu’il crée la Première Symphonie de Brahms, le 20 octobre 1877 (au grand dam du compositeur, il la sous-titre d’ailleurs « la 10e symphonie de Beethoven »).
Il est à noter que les relations entre Brahms et Bülow ne furent pas aussi tumultueuses qu’on pourrait le croire (à l’exception d’une petite dispute qui les séparera un peu plus d’un an, jusqu’à ce qu’ils fassent la paix en janvier 1887). En 1854, année de leur rencontre, Bülow avait été le premier à interpréter la sonate en do Majeur de Brahms, à l’exception du compositeur lui-même. Plus tard, sous sa direction, l’orchestre de Meiningen donnera un concert 100% Brahms. De plus, notre protagoniste popularisa l’appellation flatteuse des « trois B », Brahms étant le troisième "B" après Bach et Beethoven.
Rapidement, la charge de travail qu’il impose à ses musiciens le rend impopulaire : entre octobre 1878 et avril 1879, il dirige en effet des dizaines d’œuvres différentes. C’est toutefois une énième dispute avec le fier ténor Anton Schott qui le contraint à démissionner de son poste.
L’auteur de cette édition nous gratifie de très nombreuses annotations portant aussi bien sur la technique que sur l’interprétation à adopter pour certains passages. Certains (pour ne pas les nommer, Clara Schumann ou Ferdinand Hiller) critiquent alors Bülow pour ces annotations qu’ils accusent de priver l’interprète de toute liberté ; il répliquera avec son doigté bien connu qu’il les considère quant à lui nécessaires pour éviter une mauvaise interprétation due à « la stupidité de ses respectés collègues ». Ces éditions pédagogiques connurent un grand succès jusqu’aux années 1960 avant d’être dépassées par des éditions plus objectives.
La dédicace de cette édition était originellement destinée à Wagner, mais en raison des circonstances, le recueil sera finalement dédié à Liszt.
Quelques jours à peine après son départ de Hanovre, Bülow accepte un poste équivalent dans la petite ville de Meiningen. Son ambition est de faire connaître son modeste nouvel orchestre en Allemagne. Pour cela, il le soumet pendant 12 semaines à un entraînement quotidien. À l’issue de cette période, son orchestre est capable de jouer de mémoire les 9 symphonies de Beethoven : pour ce chef exigeant, « mieux vaut avoir la partition dans la tête que la tête dans la partition ». Malgré cette discipline de fer, il saura s’attacher ses musiciens qui, lors de son départ, le gratifieront d’une lettre pleine de reconnaissance élogieuse.
Janvier 1881 marque le début des tournées européennes de l’orchestre de Meiningen, qui jusqu’en 1885 le conduiront aussi bien en Allemagne (Nuremberg, Leipzig, et même Berlin) qu’à l’étranger (Autriche, Hongrie, Pays-Bas…) : c’est partout un triomphe. Bülow prend sa revanche sur le public berlinois qui, 25 ans auparavant, l’avait sifflé.
En 1884, le jeune Gustav Mahler, après un concert 100% Beethoven donné à Cassel par Bülow et son ensemble, rédige une supplique passionnée mais naïve au chef d’orchestre, qu’il supplie de l’accepter comme élève. L’année suivante, Mahler est sur les rangs pour le poste de chef assistant à Meiningen, mais c’est le très jeune Richard Strauss qui décrochera finalement ce poste. Gustav et Hans resteront toutefois en contact, le second admirant ce jeune et talentueux chef d’orchestre (bien que négligeant quelque peu le compositeur).
Sur le plan personnel, notre ami fait à Meiningen la connaissance de l’actrice Marie Schanzer, de 27 ans sa cadette, et en tombe amoureux. Il célèbre son second mariage en juin 1882.
Alors sur le départ de Meiningen (qu’il quittera officiellement fin janvier 1886), Bülow passe quelques semaines en Russie, où il est notamment accueilli par des membres du fameux Groupe des Cinq (Mili Balakirev, César Cui, Alexander Borodine et Nicolaï Rimski-Korsakov).
Il continue ensuite jusqu’en 1887 à enseigner au Conservatoire Raff de Francfort-sur-le-Main (on ne vous l’avait pas dit, mais ça avait commencé en 1884). Sa présence permet à l’établissement de gagner un peu de popularité et de visibilité.
Après Hanovre et Meiningen, Bülow se dirige enfin vers une ville importante : Hambourg compte alors 600000 habitants. Il y donne son premier concert comme chef d’orchestre le premier novembre 1886, concert dont la seconde partie sera dédiée à la mémoire de Franz Liszt, décédé le 31 juillet de cette année. Le 12 janvier 1887, il donne une représentation de l’opéra Carmen de Georges Bizet.
Sur un plan purement personnel, Bülow fait la connaissance d’une jeune fille de bonne famille, Cécile Gorrissen-Mutzenbecher, avec laquelle il entretient une brève liaison (peut-être platonique, mais enflammée et romantique), avant que sa femme, prévenue, n’y mette brutalement fin.
En janvier 1887, Hermann Wolff fait une proposition capitale à notre héros : prendre la tête du Philharmonique de Berlin pour les saisons à venir. Bülow accepte, sans pour autant cesser ses activités à Hambourg et à Brême, où il dirige également.
Avec le Philharmonique, Bülow dirige bien entendu avec succès de nombreuses pièces, dont plusieurs de son protégé Strauss, mais aussi d’Antonin Dvorak (un choix plus polémique, qui selon certains symbolisait les aspirations indépendantistes des Tchèques), un compositeur que le chef considère comme « le plus talentueux de l’époque, juste après Brahms ». Logiquement, il s’intéresse d’ailleurs de près à la musique ethnique, dirigeant par exemple la Symphonie Irlandaise de Charles Villiers Stanford en 1888.
Il ne ménage pas ses efforts pour renflouer les finances de son nouvel ensemble. La santé de ce stakhanoviste de la musique décline, même si certains symptômes ne devraient surprendre le lecteur ou la lectrice averti(e) que vous êtes (par exemple, une épaule ankylosée à force de manier la baguette - ça ressemble à une blague, mais non). Malgré tout, l’infatigable (oui, on n’arrête pas avec les mélioratifs), à presque 60 ans, effectue encore un séjour à Londres et deux aux États-Unis (voir plus haut).
Le 28 mars 1892, Bülow s’apprête à faire ses adieux à Berlin avec un dernier concert. À la fin de ce dernier, le public réclamant un mot du grand homme, ce dernier se lance dans un discours qu’il conclue en proposant de dédier la Symphonie héroïque à celui qu’il désigne comme « le Beethoven de la politique allemande », l’ex-Chancelier Otto von Bismarck (acteur notamment de l’unification allemande), dont le limogeage par Guillaume II en 1890 avait consterné notre ami. Son discours provoque des réactions hétéroclites mais lui permet de rencontrer Bismarck dans les jours suivants.
Le 4 octobre 1892, à l’occasion de l’inauguration de la Salle Bechstein à Berlin, Bülow donne ce qui sera son dernier concert en tant que pianiste. Le 10 avril suivant, il retourne pour un soir diriger le Philharmonique.
La maladie se faisant de plus en plus présente, les médecins de Bülow lui prescrivent de nombreux médicaments, dont de la cocaïne et autres antidouleurs. Sur les conseils de sa femme et de Strauss, il décide d’entreprendre un voyage de la dernière chance en Égypte, pour une cure au Caire, mais il meurt quelques jours après son arrivée, le 12 février 1894.
Son cercueil est exposé à Hambourg pour une semaine, au cours de laquelle défileront de nombreux admirateurs de toute l’Allemagne. Les funérailles ont lieu les 29 et 30 mars. Y assiste notamment Mahler, qui en tirera l’inspiration pour le final de sa deuxième symphonie « Résurrection ».