Relativement peu connu de ce coté-ci de l’Atlantique, Aaron Copland est un compositeur essentiel aux États Unis. L’occasion, pour le 20e anniversaire de sa mort et le 110e de sa naissance, de se pencher sur la vie et l’œuvre de cette figure majeure de la vie musicale américaine du XXe siècle.
Le dossier concernera à la fois la vie de Copland et son œuvre. Il comprendra en particulier des analyses détaillées de « Appalachian spring » et de « Fanfare for a common man ». Ceci dans le but d’aider nos chers lecteurs bacheliers qui ont à étudier ces œuvres pour l’épreuve de cette année. Bien entendu, tout mélomane curieux de la musique y trouvera également son compte !
Petite particularité pour ce dossier : afin de rendre hommage à l’esprit américain, particulièrement friand de cette forme, afin aussi de maintenir les lecteurs dans un suspense insoutenable (afin aussi, de ménager la capacité de travail de l’auteur), le dossier sera publié sous forme de feuilleton. Ne ratez donc pas, chaque semaine, notre nouvel épisode !
Toute biographie qui se respecte commence par présenter la jeunesse de l’individu concerné, c’est une convention admise. Reconnaissons-le, elle dispense aussi souvent l’auteur de trouver un début original.
C’était à Brooklyn, quartier de New York, dans la maison des Copland (un lot spécial au premier qui comprendra cette référence littéraire !). Le 14 novembre 1900 naît le petit Aaron, dans une famille juive ayant quitté la Lituanie pour le Nouveau Monde. Sa vocation pour la musique est innée : il est dans un premier temps majoritairement autodidacte, avec l’aide au piano de sa grande sœur. À l’adolescence, il décide de devenir compositeur : sa route est toute tracée. En 1917, il commence ses études à Manhattan avec un professeur très conservateur qui le marquera : Rubin Goldmark. Copland commence à écrire de petites pièces. Il découvre la fine fleur de la modernité musicale : les œuvres d’Alexandre Scriabine, Maurice Ravel, Achille Claude Debussy…À cette époque, l’étape obligée pour un jeune compositeur américain, c’est l’Europe. À l’été 1921 ouvre au château de Fontainebleau, près de Paris, une université d’été pour compositeurs américains. Copland en entend parler et s’inscrit immédiatement. À vingt et un ans, le jeune Aaron part donc pour le vieux continent parfaire son instruction. Il est immédiatement enthousiasmé par le contexte musical européen de l’époque, bien différent de ce qu’il a connu en Amérique. Le dynamisme créatif est, à cette époque, exceptionnel à Paris ; Copland découvre le Groupe des Six, De Falla, Igor Stravinski… Le jeune homme devient le premier étudiant américain de la fameuse pédagogue Nadia Boulanger. Il prolongera finalement son séjour français jusqu’en 1924.
C’est lors de cette période que Copland publie ses premières pièces, chez le fameux éditeur Durand. Il rencontre le chef d’orchestre Serge Koussevitzky, important mécène qui commanda de nombreuses œuvres (à des compositeurs célèbres comme Ravel ou Jean Julius Christian Sibelius) pour « son » Orchestre Symphonique de Boston, qu’il dirigea de 1924 à 1949. Koussevitzky, comprenant immédiatement le potentiel du jeune compositeur, lui commande une œuvre. Celle-ci deviendra la Symphonie pour orgue et orchestre (1925, créée par Nadia Boulanger à l’orgue), qui marque l’entrée de Copland dans la vie musicale américaine. Dès ses débuts de compositeur, Copland s’attache à personnaliser son langage musical. Les influences de ses maîtres et rencontres, lors de son séjour en France, l’orientent vers un style néoclassique. Copland, sur ce fond de culture européenne qu’il a reçu, superpose rapidement des éléments qu’il emprunte à d’autres musiques. Le jazz en premier lieu – il est vrai que la mode du jazz touche alors l’Europe, et que les compositeurs européens sont les premiers à y faire des emprunts. De retour aux États Unis en 1924, le jeune américain cherche à prendre ses distances par rapport aux influences européennes, afin de produire de la musique « purement » américaine. Il commence alors à utiliser des thèmes populaires et des rythmes de jazz. C’est ainsi qu’il compose Music for Theatre (1925), suite pour orchestre aux climats variés, qui démontre une excellente maîtrise de l’orchestration. C’est à cette époque que sa carrière professionnelle prend son envol.
Le jazz est encore très présent dans le Concerto pour piano (1926). Pour Copland, il s’agit du seul genre de musique né en Amérique ; et il tente d’utiliser le jazz dans ses compositions pour se démarquer de la musique classique européenne. Il faut tout de même remarquer qu’à la même époque, beaucoup de compositeurs européens, fascinés par le jazz, font de même ! Cependant, la passion de Copland pour le jazz évolue rapidement et il se met, à la fin des années 1920, à s’intéresser à d’autres musiques populaires. Copland avait pour objectif d’étendre le public de la musique classique aux États-Unis, et de favoriser sa diffusion. Dans ce but, il adhère à de nombreuses organisations comme la « American Composers’ Alliance », la « League of Composers » et participe même a la création du « Young Composer’s Group », formé sur l’exemple du Groupe des Six français.
De plus en plus actif en tant que producteur, Copland s’associe avec son ami Roger Sessions, compositeur lui aussi, pour créer les concerts Copland-Sessions, qui mettent à l’honneur les jeunes compositeurs américains. L’activité de Copland se concrétise même en 1932, lorsqu’il créé le « Yaddo Festival of American Music ». Depuis son retour d’Europe, il est installé à New York, non loin du Carnegie Hall, prestigieuse salle de concerts, dans un quartier où de nombreux éditeurs de musique et compositeurs sont installés. Copland est très introduit dans son milieu. Cependant gagner sa vie comme jeune compositeur n’est pas toujours simple : la publication de ses œuvres ne suffit pas. Aussi Copland cumule-t-il les activités : il donne des leçons, organise des concerts et est aidé par des mécènes. Il touche pendant quelques années une bourse de la Guggenheim Fellowship (une bourse destinée aux artistes délivrée par la riche famille d’industriels Guggenheim).
Copland continue à voyager en Europe, mais aussi en Afrique et au Mexique. C’est lors de son premier voyage à Mexico, en 1932, qu’il ébauche l’une de ses œuvres les plus célèbres : El Salon México, qui sera publiée en 1936. Cette œuvre concrétise l’intérêt de Copland pour les musiques populaires, puisqu’elle est inspirée du folklore mexicain. La première est d’ailleurs donnée par l’Orchestre Symphonique de Mexico dirigé par Carlos Chavez, compositeur et ami de Copland. La première américaine n’aura lieu qu’en 1938. Au milieu des années 1930, Copland était devenu célèbre, non seulement en tant que compositeur, mais aussi en tant que figure de proue de la vie musicale américaine, grâce à ses nombreuses activités de production et d’organisation de concerts.
Poursuivant son combat pour la démocratisation de la musique, Copland s’attache à composer de la musique accessible au plus grand nombre. C’est ainsi qu’il signe plusieurs bandes originales de films, et de nombreux ballets. Parmi ceux-ci, le célèbre Billy the Kid (1939). L’argument est inspiré de la vie du célèbre hors-la-loi éponyme, légende du Far West. La musique, avec ses thèmes traditionnels et ses rythmes de danses, est elle aussi typiquement américaine. Copland s’affirme toujours comme un compositeur résolument américain.
Les années 40 sont considérées comme les plus productives de la carrière de Copland. Sa notoriété atteint alors son apogée. Toujours très actif dans tous les domaines, Copland commence à publier quelques-uns de ses écrits sur la musique. Il a également des fonctions de dirigeant auprès de l’American Composer’s Alliance. Mais c’est surtout au point de vue de sa production artistique que cette décennie se distingue.
Il poursuit sa production de musique de films, avec notamment les films Of Mice and Men (1939), Our Town (1940), et The Heiress (1949). Ce dernier est un film de William Wyler, célèbre pour avoir réalisé notamment Ben Hur – pour l’anecdote, Wyler est né à Mulhouse ! – et permettra d’ailleurs à Copland de remporter un Oscar de la meilleure bande originale. Autre genre musical qui contribua beaucoup à la notoriété de Copland : le ballet. Suite à Billy the Kid, déjà évoqué, il signe Rodeo (1942) et Appalachian Spring (1944). Cette dernière œuvre est sans doute l’une des plus connues de son auteur (pour le plus grand bonheur -ou malheur- de nos bacheliers 2011). Certains critiques ont dressé un parallèle entre les ballets d’Igor Stravinski, qui lui avaient permis de s’imposer comme un compositeur typiquement russe ; et ceux de Copland, qui firent de lui le champion de la musique américaine. De plus on peut ajouter que les ballets de Copland répondaient à un besoin des chorégraphes américain pour monter des spectacles de danses nationales. Tout comme les ballets de Stravinski avaient servi les fameux Ballets Russes.
Les deux ballets présentent des scènes de la vie campagnarde américaine. Appalachian Spring signifie « printemps des Appalaches », une chaîne montagneuse de l’Est des États-Unis. L’œuvre raconte la vie de pionniers américains au début du XIXe siècle et fut chorégraphiée par la grande danseuse américaine Martha Graham (dont on célèbre le 20e anniversaire de la disparition) qui fut à l’origine de nombreuses innovations en danse moderne. Le ballet valut le très convoité Prix Pulitzer à Copland.
Autre facette de l’activité du compositeur en ces années, indissociable du contexte politico-historique (nous sommes en pleine guerre mondiale) : les œuvres patriotiques. L’une des plus fameuses à l’époque (un peu oubliée aujourd’hui) : A Lincoln Portrait (1942), pour voix et orchestre, qui consiste en des citations d’Abraham Lincoln mises en musique par Copland. Bien plus célèbre est devenue la Fanfare for a Common Man (1942). Cette œuvre fut commandée par Eugene Goosens, compositeur et chef d’orchestre et directeur à cette époque de l’Orchestre de la ville de Cincinnati. Goosens voulait participer à l’effort patriotique en commandant à plusieurs compositeurs des fanfares. Dix-huit morceaux virent ainsi le jour ; seule la pièce de Copland est restée célèbre grâce à ses couleurs à la fois solennelles et lyriques. Pour l’anecdote, Goosens fut assez surpris d’apprendre le titre de Copland, « fanfare pour un homme du commun », assez peu patriotique à première vue. Il écrivit au compositeur : « Si la musique de votre pièce est aussi originale que son titre, elle mérite une occasion particulière pour la créer. Que pensez-vous du 12 mars 1943, jour des impôts ? ». Et Copland répondit : « Je suis tout à fait pour honorer l’Homme du Commun lors du jour des impôts ! ». Un peu plus tard, Copland intégra la fanfare à sa Troisième Symphonie (1944-1946), en faisant l’un des principaux éléments musicaux du dernier mouvement.
La production de Copland est variée et ne se limite pas à l’orchestre. Parmi les autres œuvres de la décennie, citons une sonate pour piano (1941). Après la guerre, il compose une œuvre sacrée avec chœurs, In the Beginning (1947), inspirée des textes de la Genèse. Autre œuvre d’importance, son concerto pour clarinette (1948), commandé par le fameux clarinettiste et jazzman Barry Goodman : Copland retrouve dans cette œuvre son affinité avec le jazz qui avait irrigué ses compositions des années 20-30.
En 1949, notre Américain retourne en Europe, où il trouve un paysage musical transformé. Peu attiré par les théories de Pierre Boulez, Copland rencontre les tenants du dodécaphonisme pour lesquels il a plus de sympathie…
Passé la décennie 1940, l’activité compositrice de Copland diminue. En 1953, il reçoit une bourse pour étudier à Rome. De cette époque datent son Quatuor avec piano et Old American songs (1950) qui utilisent la méthode dodécaphonique d’Arnold Schönberg. Copland va ensuite se mettre à voyager de plus en plus dans le monde entier. Peut être éprouve-t-il une crise de confiance en son pays. En effet, il est inquiété, comme tant d’autres, par la paranoïa maccarthyste qui s’empare des USA à cette époque. Copland est même convoqué devant le Congrès où il doit jurer n’avoir jamais été communiste.
En dépit de ces difficultés, Copland voyage dans toute l’Europe et s’intéresse aux avant-gardes musicales, y compris soviétiques. Il se rend même au Japon, où il se lie d’amitié avec le compositeur Toru Takemitsu, dont il apprécie beaucoup l’œuvre. Les deux hommes entretiendront longtemps une correspondance amicale.
Répondant à une commande, Copland compose un opéra, The tender land (le tendre pays). Mais l’œuvre pêche de par son livret, et Copland regrettera de n’avoir jamais composé son « grand opéra ». Néanmoins c’est l’un des rares opéras américains à se maintenir au répertoire.
Il aura influencé le style de toute une génération de compositeurs américains, dont son ami Leonard Bernstein, qui lui rendra la pareille en se faisant une spécialité de la musique de Copland.
Progressivement, le compositeur consacre de plus en plus de temps à la direction. Il s’y dédie pratiquement intégralement à partir des années 60. Invité dans le monde entier, il multiplie les apparences en tant que chef invité auprès des grandes phalanges. Il y dirige sa musique et réalise de nombreux enregistrements. Il a alors, depuis le début de la décennie 1960, quitté la ville de New York pour s’installer à une heure de route au nord, dans une belle maison moderne située à l’écart, au milieu de la nature.
En dépit de ses efforts, Copland se trouve incapable de trouver de nouvelles idées. Il ne produira que quelques petites pièces mineures. Il dira lui-même, avec dépit mais non sans ironie : « c’est exactement comme si quelqu’un avait fermé le robinet ».
Au cours des années 80, sa santé décline progressivement. Victime de problèmes respiratoires et de la maladie d’Alzheimer, Copland décède le 2 décembre 1990, ayant dépassé de peu son 90e anniversaire.
Pour la majorité des mélomanes, Copland est principalement connu pour ses grands ballets comme Billy the Kid et Appalachian Spring, ainsi que pour sa Troisième Symphonie qui intègre sa pièce la plus célèbre, la Fanfare pour un homme du commun. Au-delà de ses propres compositions, l’une des œuvres majeures de Copland restera son engagement en faveur de la création musicale américaine, et à ce titre les États-Unis lui doivent beaucoup.
Cet esprit vit toujours aujourd’hui à travers la fondation Copland House. Installée dans la propriété que le compositeur habita de 1960 à 1990, celle-ci est dédiée à sa mémoire et au soutien de la production musicale américaine, credo qui fut toujours cher à Copland. Son héritage fut légué pour la création de l’Aaron Copland Fund for Composers (Fonds Aaron Copland pour les compositeurs), qui verse chaque année 600 000 dollars pour favoriser la création et l’interprétation musicale. Un projet qu’explicite bien la devise de la fondation : « Where America’s musical past and future meet » (Là où le passé et le futur musical de l’Amérique se rencontrent).
The end