À plusieurs moments de son histoire, la musique classique traditionnelle chinoise a malheureusement connu des périodes d’abandon et d’oubli, selon la situation plus ou moins décadente de la vie intellectuelle et spirituelle (elle a en effet toujours été en lien étroit avec la poésie et les rites religieux). On ne peut donc compter que sur la recherche musicologique, à partir des anciens textes et de ce qui reste des pratiques musicales traditionnelles, pour se faire une idée de cette musique.
On sait que, depuis toujours, dans la mouvance de la pensée bouddhiste, elle cherche à atténuer les souffrances et à apporter une élévation spirituelle par l’expression sereine des sentiments humains. En conséquence, contrairement à la musique occidentale dont le langage a considérablement évolué au cours des siècles, la musique chinoise s’est perpétuée telle qu’elle était à ses origines : on aurait bien du mal à y repérer un style baroque ou romantique comme chez nous. Les influences qu’elle n’a pas manqué de subir au cours des siècles, sont plus à considérer comme des enrichissements que comme des transformations de son langage.
Les bases philosophiques bouddhistes sur lesquelles elle repose depuis des millénaires se traduisent par des références systématiques à la nature (succession des saisons, animaux, couleurs, éléments naturels, etc.) : ce sont ces phénomènes qui inspirent les compositions musicales, conditionnent l’utilisation des instruments, codifient le rituel des cérémonies, les chorégraphies, etc. Profondément imprégnée par cette pensée spirituelle et cosmologique, la musique n’a pas manqué d’être instrumentalisée par le pouvoir central pour participer à l’unification de cet immense empire qu’est la Chine. Malheureusement, comme on l’a indiqué au préalable, certains empereurs n’ont pas toujours su ou voulu prolonger les traditions musicales. Si bien que celles-ci se sont peu à peu appauvries, finissant par presque disparaître. Un genre a cependant toujours été préservé, l’opéra, qui demeure aujourd’hui la forme essentielle de la musique classique traditionnelle en Chine.
L’origine des bases théoriques et des instruments de la musique chinoise se perd dans la nuit des temps si l’on en croit les récits légendaires. Mais les premières traces écrites d’un système musical élaboré datent de la dynastie des Tcheou (vers 1050 à 249 av. JC). C’est à cette époque que le rituel des cérémonies est fixé, tant à la cour qu’au temple ou dans les campagnes. C’est aussi, comme en Grèce (patrie de Socrate, Platon, Aristote…), le temps des grands philosophes : Lao-Tse (v. 604-517 av. JC), fondateur du taoïsme, et Confucius (554-479 av. JC). Celui-ci, en détaillant le rôle et le caractère des différents genres de musique, a orienté toute la vie musicale à venir.
Dans la philosophie chinoise, les sons doivent entrer en correspondance avec les nombres, les couleurs, les saveurs, les matières, etc. dans le respect de l’équilibre entre le yin et le yan (principes opposés mais complémentaires), équilibre qui garantit l’ordre universel ; en s’inscrivant dans cette pensée, la musique participe à cet ordre en même temps qu’elle le reflète.
La mythologie chinoise raconte qu’avant même la création du monde, le Chaos savait chanter et danser. Par la suite, quand le déluge menace de tout engloutir, le dieu Yu rétablit l’ordre des choses en scandant sa danse au rythme du tambour. Son fils Qi, transmet aux hommes neuf chants célestes grâce auxquels le monde terrestre devra être harmonisé par l’empereur. Celui-ci (dont le pouvoir est hérité du ciel) fixe les rituels (religieux et profanes) dans lesquels la musique est toujours présente. La musique est donc, dès l’origine, associée à l’ordre du monde.
Après l’épouvantable dynastie Ts’in (249-206 av. JC) qui se désintéresse complètement de la musique, survient la dynastie Han (206 av. JC.à 220 apr. JC) qui lui accorde une grande importance et la fait renaître à partir des rites bouddhistes et des instruments importés de l’Inde dans les années 60 ap. JC. Un Ministère de la Musique est mis en place ainsi qu’un orchestre qui comptera jusqu’à 829 musiciens. Le corps de ballet comprendra plus d’un millier de danseurs.
La Chine est divisée en plusieurs royaumes qui se font la guerre. Cette période perturbée favorise la pénétration de diverses influences extérieures (notamment celle de l’Inde) qui enrichissent son patrimoine traditionnel.
Cette période marque l’apogée de la présence de la musique dans la vie culturelle de la Chine. Les influences extérieures sont désormais parfaitement assimilées et forment un tout cohérent avec les éléments traditionnels. Au VIIIe siècle, on compte 14 orchestres à la cour, comprenant plus de 1000 exécutants. Ceux-ci sont choisis parmi les meilleurs élèves du premier conservatoire, fondé en 714. Partout, dans les provinces et dans l’armée, des orchestres sont fondés. Dans tous les genres, le répertoire s’enrichit, notamment dans la musique de chambre. L’influence de la Chine sur ses voisins se traduit notamment par l’exportation de sa musique : au Japon, sous la dynastie des Tang (elle se retrouve encore aujourd’hui dans le Gagaku), et en Corée, sous la dynastie des Song.
Sous les Yuan, l’empire est largement dominé par les Mongols. C’est le début d’un lent désintérêt du pouvoir pour la musique traditionnelle, qui se poursuivra jusqu’à la dernière dynastie. D’origine étrangère, les nouveaux empereurs ne possèdent pas la culture leur permettant de préserver l’authenticité des anciennes pratiques musicales. Ils parviennent cependant, malgré la désapprobation de l’élite intellectuelle, à renouveler le genre du drame musical qui, en mêlant récit, chant et pantomine, est à la source de l’opéra chinois moderne.
Sous les Ming, la musique n’intéresse plus que la classe intellectuelle : le prince Tsai-yu (au début du XVIIe siècle) s’efforce en vain de retrouver la tradition musicale antique. Si la musique prend de plus en plus d’importance à l’opéra, les autres genres continuent à péricliter. Ils survivront cependant grâce aux Mongols et aux Vietnamiens qui importent la musique rituelle de cour des Ming. Les différents échanges au cours du temps entre la Chine et ses pays voisins expliquent qu’ils forment, à l’instar de l’Europe, un monde musical homogène, partageant le même langage pentatonique et monodique, les mêmes instruments et les mêmes genres.
Sous les Tshing (ou dynastie mandchoue), la musique classique traditionnelle est pratiquement oubliée, d’autant que l’influence européenne se fait de plus en plus sentir. Seul l’opéra se maintient au plus haut, engendrant même différents styles régionaux.
Conscients de la triste situation des musiques traditionnelles, les gouvernements qui suivent la dernière dynastie encouragent les recherches musicologiques mais sont impuissants face à la pénétration européenne. De nombreux musiciens classiques sont formés dans les conservatoires étrangers et le langage musical ainsi que le répertoire et les instruments occidentaux imprègnent profondément la culture musicale chinoise.
Après la création de la République Populaire de Chine en 1949, les musiques populaires et occidentales, jugées « pornographiques », sont interdites. Seuls les chants révolutionnaires sont tolérés. La Révolution culturelle accentue l’oppression des musiciens qui sont envoyés dans des camps de travail pour « se rééduquer » (l’histoire de la pianiste Zhu Xiao-Mei est à ce titre exemplaire). Le gouvernement fixe à 8 le nombre d’ « œuvres modèles » dont doivent s’inspirer les opéras modernes.
Après la mort de Mao Zedong en 1976, un grand vent de liberté souffle sur la Chine. La jeunesse va peu à peu découvrir les différents courants de la variété occidentale malgré la suspicion toujours vivace du régime. Le rôle de l’île de Taïwan , seul territoire à avoir échappé au communisme, est essentiel à cet égard car cette république est restée proche de l’Occident. Elle est le principal canal par lequel la musique pop ainsi que, plus récemment le synthétiseur et la musique électronique, ont pénétré en Chine continentale. La musique classique occidentale y est de plus en plus présente sous les mêmes formes qu’en Europe et aux États-Unis.
Pour entendre de la musique traditionnelle chinoise, il faut aller à la rencontre des musiques qu’elle a influencées dans les pays voisins. Le Japon est probablement celui qui reflète le mieux la musique chinoise à sa grande époque (voir le dossier sur la musique japonaise). Quelques groupes modernes tentent de faire revivre avec des instruments anciens les mélodies du folklore local (un exemple est donné dans l’introduction musicale ci-dessus).
Dans l’antique tradition chinoise, les douze sons correspondant à notre gamme chromatique se voulaient en lien avec des phénomènes cosmiques (les douze mois de l’année). En fait, ils étaient obtenus de façon tout à fait logique par le cycle des quintes : en montant par intervalles de quintes justes à partir d’un son quelconque, on retrouve toutes les notes de la gamme chromatique tempérée avant de retomber sur le son initial (à un comma près) : voir schéma ci-dessous et écouter une démonstration.
Pourquoi avoir choisi la quinte juste comme intervalle de base pour la construction de ce cercle ? Parce que cet intervalle de trois tons et demi est considéré comme le plus consonant après l’octave. Il est d’ailleurs le second (après l’octave) que l’on entend dans l’ordre des harmoniques d’un son fondamental : démonstration.
Mais dans la pratique, les Chinois ne retiennent que les quatre premières quintes pour former leur gamme. En partant de la note do comme tonique, on arrive donc aux notes sol, ré, la et mi. Il suffit de les remettre dans un ordre conjoint ascendant pour obtenir l’échelle pentatonique suivante (dite « gamme pentatonique majeure ») : do, ré, mi, sol, la (écouter). Là encore, le choix du chiffre cinq est symbolique et réfère à la nature : les cinq doigts de la main, les cinq sens (vue, ouïe, odorat, goût, toucher), les cinq éléments (en Chine : eau, feu, terre, bois, métal)...
L’échelle pentatonique peut démarrer sur n’importe lequel de ses 5 degrés. On obtient donc 5 modes ; chacun est désigné par le degré sur lequel il démarre : kong, shang, jiao, zhi et yu (écouter).
Et maintenant, voici une petite improvisation sur chacun des cinq modes (écouter). Le mode n’est pas immuable pendant toute la durée d’un morceau : une mélodie démarrant en mode kong peut très bien se poursuivre en mode shang et varier encore plusieurs fois. Ce procédé, qui s’appelle modulation dans le système tonal, se nomme métabole dans le système pentatonique. Il est vrai que, quand l’interprète enchaîne les différents modes sans les annoncer, il faut avoir l’oreille fine pour percevoir ces métaboles (écouter l’enchaînement des cinq improvisations précédentes).
Si la musique chinoise est monodique (tous les interprètes jouent à l’unisson ou à l’octave), la mélodie est enrichie par de nombreux ornements, soit fixés par la tradition, soit laissés à la liberté des musiciens. Mais dans ce dernier cas, c’est bien d’interprétation plus ou moins ornée qu’il s’agit et non d’improvisation (laquelle est interdite dans la musique classique traditionnelle). Les différents jeux des interprètes sur la même base mélodico-rythmique, produisent alors une hétérophonie, et non une polyphonie au sens occidental du terme.
Observons aussi que, dans la tradition musicale chinoise, il existe bien une notation sous forme de tablatures (datant de l’époque Tang : 618-907). Mais, comme elle est impuissante à traduire la subtilité du jeu des instruments, on lui a préféré la transmission orale, beaucoup plus fiable. Ces tablatures, quand on les retrouve, sont de précieux témoignages qui complètent l’irremplaçable enseignement d’un maître respectueux des traditions. D’ailleurs, quand on y réfléchit, même en Occident, malgré la précision de notre système de notation, le rôle d’un mentor est essentiel pour aider un instrumentiste débutant à construire son interprétation.
Les anciens instruments chinois nous sont bien connus car ils faisaient partie des nombreux objets retrouvés dans la tombe des premiers empereurs. La tradition les range en huit familles selon les matériaux qui les composent : peau, calebasse, bambou, bois, soie, terre, métal et pierre. On lui préférera cependant une classification plus parlante pour un occidental.
L’instrument phare des civilisations d’Asie Orientale est la cithare (cordes en soie tendues sur une caisse en bois précieux). Elle est présente en Chine, en Corée, au japon, en Mongolie et au Vietnam avec des variantes et sous des noms différents. En Chine, il y a deux principaux modèles. Le gûqin est l’instrument le plus ancien, de tout temps préféré par les lettrés. Son répertoire est très important. Il ne mesure que 130 cm et possède 7 cordes. Celles-ci sont pincées à l’aide d’ongles artificiels fixés sur trois doigts de la main droite alors que la gauche agit par pressions pour contrôler la hauteur et le vibrato ainsi que pour produire des sons harmoniques. Le timbre de l’instrument est doux et profond (écouter). Le gûzheng est plus récent et d’un usage plus populaire. Sa table de résonance mesure près de 2 m et il possède jusqu’à 21 cordes. Il est joué de la même façon que le gûqin mais avec beaucoup de glissandi et peu de vibrato. Son timbre est plus clair et plus incisif (écouter).
Les luths les plus répandus sont de 3 sortes : le pipa, instrument court à 4 cordes (écouter), le yueqin, sorte de banjo à manche court, à 4 cordes, appelé aussi guitare-lune en raison de sa forme (écouter), et enfin le sanxian, à 3 cordes, au manche très long, et dont la petite caisse de résonance est recouverte de peau de serpent (écouter).
Le konghou est une petite harpe à 7 cordes. Pratiquement abandonnée à partir du XVIIe siècle, elle réapparaît au XXe sous une forme modernisée : plus grande avec un nombre supérieur de cordes dont certaines sont croisées, ce qui permet le vibrato (écouter).
La famille des cordes frottées se résume principalement à un instrument, le erhu, qui est décliné en plusieurs dimensions. Le moyen, qui est le plus fréquent, équivaut au violon (écouter). Le plus petit n’a pas d’équivalent en Occident mais le plus grand équivaut au violoncelle. Le erhu se compose d’un long manche au bout duquel se trouve une petite caisse de résonance hexagonale recouverte d’une peau de serpent ; l’autre bout est traversé par deux chevilles qui permettent de tendre deux cordes. L’instrument se joue avec un archet dont, curieusement, la mèche passe entre les cordes et le manche. Les cordes sont donc frottées, non pas devant, mais par derrière (vidéo).
L’instrument le plus populaire est la très ancienne flûte traversière en bambou dizi ; son embouchure est décalée vers le centre, elle possède 6 trous de doigtés « utiles » et couvre deux octaves et demie (écouter). Signalons aussi l’orgue à bouche sheng, vieux de 4000 ans, à 17 tuyaux en bambou (écouter).
Les percussions à son indéterminé (tambour, cymbales et claquettes en bois) sont surtout présentes dans l’orchestre à l’opéra (écouter). Les percussions à son déterminé sont la plupart du temps constituées d’éléments suspendus des portiques : jeux de gongs, de pierres (lithophones) ou de cloches (écouter).
Le fanbay est une très ancienne psalmodie, perpétuée depuis le IVe siècle par les moines bouddhistes (écouter).
C’est la forme de musique traditionnelle qui est considérée comme la plus classique. On peut y distinguer plusieurs genres. Il y a d’abord l’important répertoire qui s’est conservé pour la cithare gûqin (voir plus haut), qui était l’instrument préféré des lettrés. Elle était jouée seule (écouter) ou en petite formation de musique de chambre (un exemple est proposé dans l’introduction musicale). La musique d’orchestre (on devrait plutôt parler de petits ensembles orchestraux) est représentée par le yaye ou le guyue, genres vocaux ou instrumentaux (écouter). Le guyue se décline aussi sous la forme de cérémonies rituelles dont voici un exemple, reconstitué dans un temple dédié à Confucius. Quelques groupes modernes s’efforcent d’en reconstituer le climat en jouant des instruments anciens, mais le résultat peut laisser perplexe (écouter).
Ce genre a été cultivé depuis toujours avec succès auprès de toutes les classes sociales (aristocratie, lettrés et masses populaires). Chaque région a sa forme d’opéra. Le plus célèbre est celui de Pékin. Un des plus anciens est le kunqu (vidéo).
Étant donné l’immensité du pays, il n’est pas étonnant que de nombreuses régions de la Chine aient développé des genres spécifiques. À défaut de tous les citer, on peut en retenir quelques-uns à titre d’exemple.
Dans la province du Fujian, le Nanying, né au XVIe siècle, met en jeu cinq musiciens : un chanteur (ou une chanteuse) entouré à sa droite par un luth et un violon, à sa gauche par une flûte et un hautbois. Il illustre les aventures amoureuses et guerrières du prince Meng Chang.
À Shanghai, à l’occasion de fêtes ou de cérémonies, on peut voir défiler des ensembles composés d’instruments à vent et à cordes traditionnels (vidéo). Ces manifestations de rue sont fréquentes dans toutes les régions environnantes ; la composition des orchestres varie selon les lieux et les occasions.
Les genres régionaux sont parfois très éloignés du mode pentatonique typique de la Chine. Dans les régions montagneuses du Guizhou on pratique le chant feige ("chant volant"). C’est une sorte de yodel qui permet notamment aux jeunes gens d’échanger des messages amoureux (écouter).
Un autre genre inattendu en Chine est celui des paysans de l’île de Taïwan : dans leur chant pasibutbut, qui est un rituel visant à obtenir de meilleures récoltes, les différentes voix se superposent progressivement à des hauteurs différentes pour aboutir à une polyphonie envoûtante (écouter).
La fascination pour la Chine débute dès le XIVe siècle, période à laquelle s’établissent les premières relations commerciales à l’initiative de marchands vénitiens, notamment Marco Polo. Ce dernier raconte ses voyages en Orient dans le Livre des merveilles. Son ouvrage reçoit un accueil considérable et façonne l’image que les Européens se font de l’Asie ; il marque ainsi le début de la florissante mode des chinoiseries. Celle-ci se prolongera jusqu’au XVIIIe siècle et se traduira par la production de nombreux objets, peintures et bâtiments évoquant un Extrême-Orient imaginaire (voir images ci-dessous).
Dans le domaine de la musique, il faut noter le travail important du père jésuite Joseph-Marie Amiot. Envoyé comme missionnaire en Chine en 1750, il s’installe à Pékin, où il demeure jusqu’à sa mort en 1793. Il met son séjour à profit pour étudier les mœurs et les sciences du pays. Il rend compte de ses observations dans un important ouvrage, Mémoire concernant les Chinois, où près de 300 pages sont consacrées à la musique. Dans ses Divertissements chinois, il s’efforce de transcrire fidèlement 41 airs traditionnels (écouter des extraits du Divertissement n° 2). Il contribue ainsi à mieux faire connaître la musique chinoise en Europe.
Ce que les compositeurs occidentaux modernes ont surtout retenu de la musique chinoise, c’est sa couleur exotique caractérisée par l’usage de la gamme pentatonique (écouter). Comme Maurice Ravel le fait chanter (en mode pentatonique) à la tasse chinoise de L’Enfant et les Sortilèges (1925) : « keng-ça-fou, ça-ho-râ toujours l’air chinoâ » (écouter). Ne vous alarmez pas si, dans l’extrait précédent, vous avez du mal à identifier le mode pentatonique : Ravel l’habille en effet d’un tissu harmonique complexe et raffiné. Le voici plus en évidence dans Laideronnette impératrice des pagodes, pièce extraite de Ma Mère l’Oye (1908 : écouter la fin).
Dans la deuxième partie de ses Métamorphoses symphoniques, Paul Hindemith reprend un thème d’une œuvre peu connue de Carl Maria von Weber, l’Ouverture chinoise. Pour faire "chinois", Weber avait adopté le mode pentatonique, Hindemith en tire une série de variations dans laquelle il enrichit peu à peu le thème en jouant habilement sur l’instrumentation et sur le tissu harmonique (écouter un extrait).
Giacomo Puccini, dans Turandot (1926), son ultime opéra, s’efforce d’atteindre une plus grande authenticité que Weber, Ravel ou Strauss. Pour mettre en musique l’histoire de cette impératrice chinoise imaginaire, il s’inspire de thèmes traditionnels (écouter) pour faire chanter la foule (écouter).
Après le rejet par la Révolution culturelle des valeurs traditionnelles et des relations avec l’extérieur, la Chine des années 1980 s’ouvre à nouveau largement à l’Occident et autorise ses jeunes musiciens (virtuoses et compositeurs) à venir en Europe enrichir leur formation. À ce titre, le cas de Xu Yi est exemplaire. Après avoir étudié la composition à Shanghai, elle choisit de s’installer à Paris en 1988. Elle suit le cursus d’informatique musicale à l’IRCAM et s’initie au courant spectral au CNSMDP. Elle compose désormais une musique où les techniques d’écriture occidentales entrent en résonance avec le langage musical traditionnel chinois dans lequel elle a été bercée. Dans sa musique, se confrontent donc, selon ses propres termes, « son âme chinoise et son cœur français ». Sa pièce Gu Yin (1995), pour flûte traversière et percussions, mélange habilement les tapotements et les chuintements inspirés du jeu de la flûte traditionnelle dizi (voir plus haut) aux battements et frôlements des percussions (écouter le début de Gu Yin).
Ainsi, avec la nouvelle génération des compositeurs chinois, la confrontation de l’Occident avec l’Orient dépasse maintenant le stade du simple exotisme pour s’engager vers une véritable fusion.