Il faut d’abord observer que la musique est multiple dans la mesure où chaque interprète en donne une version différente. Ne dit-on pas « jouer une musique » pour désigner l’action de l’« interpréter » ? L’interprétation est donc un jeu qui ouvre sur une infinité de possibles. A contrario, on dit aussi « exécuter une musique » pour signifier que l’interprète doit cependant se conformer aux règles plus ou moins précises (selon l’époque) imposées par la partition (tempo, nuances, phrasé et autres indications).
Multiple par la façon dont elle est produite, la musique est aussi multiple par la variété des formes qu’elle emprunte et des buts qu’elle vise (danse, recueillement, divertissement, incantation, méditation, etc. ). Remarquons en passantque n’importe quel son, comme le souffle du vent ou le chant des oiseaux, ne peut être qualifié de musical, sinon par une analogie due à l’nventivité inépuisable de l’imagination humaine. De même, il faut faire un sort à la fameuse « musique des sphères » popularisées par les pythagoriciens de l’Antiquité grecque.
Alors, si elle n’est pas un phénomène naturel mais une création bien humaine, comment définir la musique ? On connaît la célèbre proposition de Jean-Jacques Rousseau, qui a pesé sur toute la pensée ultérieure, d’Emmanuel Kant à Frédéric Nietzsche : « La musique est l’art d’accommoder les sons de manière agréable à l’oreille » (Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, 1751-1776). Mais il faut bien reconnaître qu’aussi générale soit-elle, elle ne peut plus recouvrir l’abondance et la variété des styles musicaux qui saturent aujourd’hui notre univers sonore.
Il s’agit donc de rechercher une définition à la fois plus large et plus rationnelle, s’appuyant uniquement sur des paramètres objectifs, spécifiques à la musique. Cela pourrait donner ceci : organisation dans le temps de phénomènes sonores (sons et / ou bruits) et de silences, en vue de créer une composition structurée (même de façon aléatoire) caractérisée notamment par les paramètres de vitesse, rythmes, nuances, organisation des hauteurs (type de gamme ou d’échelle), mode d’attaque et timbres.
Pour aller plus loin, voire notre dossier Qu’est-ce que la musique ?.
L’histoire de la musique offre des exemples très variés de manières de composer de la musique. Mais qu’elle soit traditionnelle ou révolutionnaire, rationnelle ou onirique, la démarche du créateur procède toujours d’une union étrange entre inspiration et science, union où s’abolit la distance entre les deux pôles définis par Friedrich Nietzsche : l’ivresse inventive de Dionysos et la rationalité lumineuse d’Apollon. Arnold Schönberg confirme cette dualité en déclarant (en substance) : « Chez un véritable artiste, l’ivresse ne fait qu’ajouter à la clarté de la vision ».
Pour exprimer les choses autrement, la musique, qui suscite si fortement les émotions, est aussi un art abstrait dans la mesure où elle ne renvoie à aucune signification ni aucune image : s’y entrelacent la liberté de l’imagination et la maîtrise de règles formelles ; l’alliance de ces deux aspects du processus de création est nécessaire pour engendrer une idée d’harmonie (que le philosophe Héraclite définit comme l’accord des contraires). Pour plus d’informations, consulter Comment expliquer le génie ?.
La musique, qui est présente dans toutes les sociétés humaines depuis les temps les plus reculés, est pratiquée en de multiples occasions : individuellement (pour exprimer ses sentiments) ou collectivement (pour magnifier une cérémonie religieuse ou païenne, un rite incantatoire, un divertissement, un événement national, etc.) : voir notre dossier À quoi la musique sert-elle ?.
Quelques exemples :
• chez les Grecs anciens, la musique accompagne la danse pour provoquer la transe et l’extase : Orphée charme les animaux sauvages avec sa lyre, Amphion assemble des pierres et construit des bâtiments au son de sa flûte,
• un dicton africain traduit ainsi le pouvoir de musique : lorsqu’un griot chante, le soleil s’arrête pour l’écouter,
• les ragas indiens, non seulement ponctuent et ordonnent l’existence des hommes, mais ont aussi le pouvoir d’agir sur la nature entière
• en Inde encore, Shiva ordonnance le monde par le rythme de son tambourin,
• en Occident, durant le Moyen Âge, on encourage l’étude de la musique qui est en lien direct avec le divin. Le ciel des peintures chrétiennes est d’ailleurs peuplé d’anges musiciens.
Aristote, comme son maître Platon, distingue deux sortes de musiques : l’une, vulgaire et émolliente, est destinée aux esclaves qui ont besoin de délassement après le travail ; l’autre, noble et virile, est destinée aux hommes libres et à l’éducation de leurs enfants car elle chante les grands mythes de l’humanité et permet d’accéder au monde des idées.
La distinction entre une musique populaire destinée au plus grand nombre et une musique savante plutôt appréciée par une élite va perdurer en Occident, même si ces deux formes de musique se sont souvent influencées réciproquement : voir notre dossier Musique classique et musique populaire. Aujourd’hui, la coupure semble radicale. La musique populaire moderne, dite « de variétés », n’a plus rien de populaire : elle est le produit d’une industrie culturelle visant à apporter à divers publics (du plus jeune au plus vieux, aucun ne peut échapper au matraquage médiatique) le dérivatif qui leur convient. Selon le philosophe Christian Godin (voir références in « ressources liées »), la musique de variétés « agit comme un sédatif, ou une drogue, pour détendre l’esprit, ou le stimuler ; elle ne saurait le nourrir. »
Quant à la musique classique contemporaine, on peut y distinguer deux grands courants : celui, coupé du plus grand nombre, de l’atonalité et de la dissonance, et celui, plus accessible, de la consonance et d’un certain sentiment tonal (plus d’informations). Là encore, le public peut se diversifier en fonction du style de la musique : voir notre dossier Qui a peur de la musique contemporaine ?.
Même si tout le monde n’y adhère pas, la musique classique s’adresse à chacun, quel que soit son niveau scolaire et l’étendue de sa culture. Il semble cependant qu’il soit préférable de posséder quelques clés pour passer d’une écoute naïve a une écoute avertie : voir notre dossier Comment écouter et apprécier le classique. Bien que les moyens actuels permettent à chacun d’étendre ses connaissances (par exemple en surfant sur Symphozik), l’idée selon laquelle la musique classique serait inaccessible aux classes populaires est un lieu commun qui a la vie dure. L’humoriste Jean Yanne s’en moque dans un sketch où il met en scène des routiers mélomanes.
Comme la question précédente, celle-ci pose le problème des rapports délicats entre la musique classique et le public : y a-t-il un public ou des publics ? Y a-t-il des facteurs qui prédisposent à apprécier le classique ? Quand le classique devient-il un repoussoir ou un objet de délectation ? Toutes ces questions, et bien d’autres, seront traitées dans un prochain dossier.
Il y a justement un dossier là -dessus : Par quoi commencer pour aborder le ”classique" ? Comme on peut le lire dans ce dossier, il vaut mieux donner la préférence à des œuvres courtes et évocatrices d’images ou d’émotions, sans privilégier une période où un style précis.
On pourrait répondre que c’est impossible parce que « tous les goûts sont dans la nature ». Dans sa Critique de la faculté de juger (1790), le philosophe Emmanuel Kant démontre que le jugement de goût est éminemment subjectif. Il dépend aussi beaucoup de l’époque à laquelle il est émis : ce n’est qu’un siècle après sa mort que le génie de Johann Sebastian Bach a commencé à toucher le grand public (autres exemples).
Pourtant, à l’occasion d’une célèbre polémique, Alban Berg s’est employé à démontrer la beauté d’une mélodie. Le critère essentiel qu’il met en avant, c’est l’inventivité du discours musical, son renouvellement constant sur tous les plans (mélodie, rythme, harmonie, timbre, structure, etc.), de sorte que l’œuvre propose une aventure fourmillant de péripéties propres à charmer et surprendre l’auditeur.
Comme on l’a vu dans la question précédente, le jugement de goût est éminemment subjectif : rien ne vous interdit donc d’avoir un avis négatif sur une œuvre que d’autres considèrent comme géniale.
Étant donné qu’il n’y a pas d’œuvres ni de compositeurs intouchables (sauf peut-être Bach…), il est permis de s’interroger : par exemple, un créateur comme Sergueï Rachmaninov peut être jugé comme génialement lyrique ou affreusement mélo. D’autre part, selon l’âge que l’on a, on peut être différemment séduit par un compositeur : une jeune personne appréciera plutôt la période héroïque de Beethoven alors qu’en vieillissant elle se tournera davantage sur ses dernières œuvres, plus méditatives.
S’il est vrai que vos goûts sont éclectiques, vous faites partie d’une espèce rare : non seulement c’est normal mais c’est même le signe d’une large capacité d’ouverture. La plupart des gens affichent un dégoût pour l’un ou l’autre genre : on ne verra jamais un amateur exclusif de classique dans une discothèque branchée, ni un mordu de hip-hop dans un récital de musique de chambre.
N’est-il pas dommage de se fermer des portes et des sources de plaisir ? D’un autre côté, à vouloir trop embrasser, on risque de rester à la surface des choses. On ne peut donc qu’applaudir au potentiel physique, intellectuel et sensible des personnes capables de faire preuve d’ouverture d’esprit sans tomber dans la superficialité.
Le classique, ce n’est pas ringard. Il y a encore beaucoup de raisons d’en composer aujourd’hui. Il y a d’abord la nécessité de répondre à une demande : d’un chef d’orchestre, de l’organisateur d’un événement ou d’un réalisateur de films (la musique joue un rôle important au cinéma). Il y a aussi la pulsion irrépressible qui pousse un créateur à s’exprimer : il satisfait ainsi son propre plaisir et celui de ses futurs auditeurs. Il y a encore, pour le compositeur, le désir de participer à la vie culturelle de son époque et si possible d’y imprimer sa marque.
Et même dans la variété, il n’est pas rare qu’on fasse appel à un compositeur de formation classique pour instrumenter et arranger au mieux les jolies mélodies trouvées par un chanteur (par exemple, Philippe Uminski et Stéphan Gaubert pour Julien Clerc). Difficile donc de se passer aujourd’hui des compositeurs classiques !
A priori, il n’y a pas de raison pour qu’il soit plus difficile à une fille qu’à un garçon de faire carrière dans le classique. Et pourtant, les enquêtes statistiques de la SACEM nous apprennent que, à part dans le domaine lyrique où l’on a autant besoin de chanteuses que de chanteurs, la place des femmes dans la musique classique reste misérable : 21 femmes chefs d’orchestre pour 586 hommes et 12 compositrices pour 867 compositeurs ! (plus d’informations)
Donc, si vous espérez, Mesdames, obtenir un poste plus prestigieux que celui de simple interprète, préparez-vous à faire preuve de qualités exceptionnelles et à affronter le machisme qui pollue, aujourd’hui encore, toute la société. Le grand chef d’orchestre Herbert von Karajan disait : « La place des femmes est dans la cuisine, pas dans un orchestre symphonique ». Dans son ouvrage récent, La musique à mains nues, Claire Gibaut raconte ses difficultés pour s’imposer en tant que femme chef d’orchestre.
Plus d’informations dans notre dossier Les femmes et la musique classique.
Au moins trois raisons amènent à se poser la question : Quelle histoire de la musique ?
1. le manque de sources : on ne possède pratiquement aucune information sur les pratiques musicales durant la Préhistoire ; on n’en sait que très peu de choses durant l’Antiquité ; l’invention de la notation au IXe siècle en Occident permet de nous en faire une idée durant le Moyen Âge (plus d’informations). Mais il faut attendre le XIIIe siècle pour qu’une information plus précise nous renseigne sur l’évolution de la musique en Occident.
2. La diversité des traditions musicales qui se sont développées partout dans le monde pendant des millénaires en dehors de la musique classique. On peut donc se demander : comment s’y reconnaitre dans la jungle des styles ?
3. La diversité des formes de musique au sein même d’une même civilisation : musiques savantes et musiques populaires. Quelques exemples pris dans la musique vocale : des chants venus d’ailleurs.
La rédaction d’une histoire de la musique universelle représenterait donc un travail de Titan. Mais rien n’effraie Symphozik. En naviguant dans votre site préféré, vous constaterez qu’il n’hésite pas à relever le défi par le nombre, la variété et la légendaire qualité (n’ayons pas peur des mots…) des dossiers qu’il propose.
Prétendre que la musique est un langage relève du lieu commun : c’est ainsi que l’on parle de « discours musical » à propos du développement d’un thème, et de « phrase musicale » à propos d’une mélodie. Il est vrai aussi que la musique présente de nombreuses analogies avec le langage verbal : son caractère avant tout auditif et transcriptible dans un système de signes (le solfège est sa grammaire). Comme un discours, elle se déroule dans le temps mais, pour être totalement assimilée à un langage, il lui manque l’essentiel : la signification, ce que Claude Lévi-Strauss exprime par la formule « la musique, c’est le langage moins le sens » (L’Homme nu, 1971, p. 578). En effet, la musique n’est pas porteuse de significations, elle ne communique aucun message. Elle ne peut d’ailleurs pas exprimer la négation car elle est constamment dans l’affirmatif : c’est peut-être le sens profond du mot de Nietzsche, « sans la musique, la vie serait une erreur ».
C’est donc métaphoriquement que l’on utilise les mots langage, discours et phrase à propos de la musique. En tant que moyen d’expression, elle conserve une part d’indicible, d’« ineffable » dirait Vladimir Jankélévitch. Elle s’inscrit certes dans une structure précise, mais qui n’est jamais fixée d’avance : le créateur progresse dans l’inconnu en s’efforçant de conduire l’auditeur de surprise en surprise ; c’est pourquoi, le plus souvent, il transgresse les règles édictées par les traités au bénéfice d’un "discours" toujours inventif.
En résumé, la musique ne dit pas autre chose qu’elle-même. Elle ne contient rien d’autre que « des formes sonores en mouvement » (Eduard Hanslick, Du beau dans la musique, Phenix Éditions, 2005, p. 49). Elle a du sens mais pas de signification. C’est ce que veut dire la célèbre phrase de Stravinski : « Je considère la musique, par son essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit : un sentiment, une attitude, un état psychologique, un phénomène de la nature, etc. ». Même dans une musique pure, « la perception saisit toujours du sens » (H.G. Gadamer, Vérité et méthode) car « la musique est expressivité plutôt qu’expression. Elle n’est pas un langage, mais un monde » (Christian Godin, La musique). Plus d’informations dans le dossier La musique a-t-elle un sens ?