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Des chants venus d’ailleurs (voix insolites)

Introduction musicale : écouter un chant bulgare
azerty (†), le 26/11/2016

Avertissement : les liens vers les musiques hébergées sur Youtube sont susceptibles de ne plus fonctionner du jour au lendemain, n’hésitez pas à utiliser le moteur de recherche de Youtube pour trouver un autre enregistrement de l’œuvre.

Préambule

Le chant a longtemps été la principale expression musicale de l’être humain. Au cours des siècles, les techniques vocales se sont peu à peu affinées de façon à améliorer les qualités de la voix : puissance, agilité, ambitus (étendue du grave à l’aigu). La voix naturelle couvre en moyenne une octave et demie ; c’est en général celle qu’utilise le chanteur de variétés qui en compense la faiblesse grâce au micro. La voix travaillée du chanteur d’opéra peut couvrir jusqu’à trois octaves et il n’a pas besoin de micro pour se faire entendre.

Au-delà du chant auquel nous sommes habitués (d’autant qu’il est largement diffusé par les médias), des musicologues et des ethnologues ont permis de faire resurgir des pratiques vocales peu connues ou oubliées. En voici quelques-unes :

Techniques vocales dans le domaine du classique

Traditionnellement, les voix sont classées selon leur hauteur en six catégories : soprano, mezzo-soprano, alto, ténor, baryton et basse. Il existait jusqu’à la fin du XIXe siècle une autre catégorie : celle des castrats.

Castrats et Contreténors

Un castrat est un chanteur ayant subi la castration avant sa puberté pour lui conserver le registre aigu de sa voix enfantine tout en bénéficiant du volume sonore produit par la cage thoracique d’un adulte. Ce phénomène apparaît à la fin du XVIe siècle et se développe essentiellement en Italie. Il est aujourd’hui heureusement interdit, et les rôles écrits à l’époque pour ce type de voix sont tenus actuellement, soit par des femmes travesties, soit par des contreténors.

Au début du XVIIIe siècle, le goût des voix aiguës a profité aux grands castrats : ils déclenchaient des mouvements d’enthousiasme hystérique comme les stars d’aujourd’hui. Entraînés dès l’âge de 13 ans à toutes les acrobaties vocales, ils étaient admirés pour leur virtuosité et pour l’étendue de leur voix au timbre à la fois doux et puissant. Le cinéaste Gérard Corbiau les a popularisés à travers un film réalisé en 1994, intitulé Farinelli. Pour reconstituer leur timbre de voix aujourd’hui perdu, on a mixé les voix d’un contreténor et d’une soprano colorature : regarder un extrait du film. La soprano Cecilia Bartoli nous donne une idée de la prodigieuse virtuosité des castrats dans son CD "Opera Prohibita" ; elle y interprète des arias de l’époque baroque comme celui d’Antonio Caldara, extrait de La Castita : écouter.

Le contreténor, qui utilise principalement sa voix de fausset (appelée aussi voix de tête), ne doit pas être confondu avec le haute contre, ténor qui n’utilise sa voix de tête que pour les aigus. Très apprécié à l’époque baroque, le contreténor n’a été remis à l’honneur que vers les années 1950, avec la redécouverte de la musique ancienne. Pour entendre ce timbre si particulier, voici un air de Georg Friedrich Haendel extrait de Serse (Xerxès), interprété par Philippe Jaroussky (écouter).

Sprechgesang et onomatopées

Dans le domaine de la musique classique, la technique vocale a peu évolué depuis l’invention de l’opéra au début du XVIIe siècle ; ce que l’on appelle le Bel canto (beau chant) en a fixé les bases dans un style caractérisé par la recherche de la prouesse vocale. Il faut attendre le XXe siècle, pour que de nouvelles façons de chanter soient expérimentées. Le Sprechgesang, sorte de parlé-chanté, en est un exemple. Arnold Schönberg le théorise dans la préface de son Pierrot lunaire (en savoir plus).

Luciano Berio, pour sa part, rejette complètement l’idée d’un chant reposant sur un texte ou sur les traditionnelles vocalises. Dans sa Sequenza-III pour voix seule, il présente une succession organisée d’onomatopées, borborygmes, rires, etc. : écouter en suivant le graphique qui sert de partition.

Bouche fermée

Mais oui, il est possible d’émettre un chant même quand on a la bouche fermée. On obtient ainsi un effet de mystère comme le montre ce document enregistré sur France musique. C’est plutôt un effet comique qui est recherché par Wolfgang Mozart pour le personnage de Papageno au premier acte de son opéra La flûte enchantée (1791 : écouter). Cette technique vocale se prête particulièrement bien aux vocalises comme dans cette 5ème Bachianas brasileiras d’Heitor Villa-Lobos (1938 : écouter).

Techniques vocales monophoniques traditionnelles

Avec les musiques vocales liées à des traditions régionales anciennes, on est confronté à un univers musical souvent étonnant. Leur origine est variée : célébration des fêtes profanes ou religieuses, chants de travail, ballades célébrant une légende ou le récit d’un événement marquant.

Chant diphonique

La technique de chant diphonique permet à une seule personne, par une certaine position de la langue, de produire deux sons à la fois : l’un correspond à une émission normale, l’autre à une harmonique de la voix de base. Pour que l’une des deux voix évolue, l’autre doit produire un bourdon (note tenue à la même hauteur). Ce type de chant est pratiqué de façon traditionnelle dans de nombreuses régions du monde, notamment en Mongolie (écouter). Quelques chanteurs américains comme David Hykes l’ont récemment remis à l’honneur (écouter). La pratique du chant diphonique en groupe est impressionnante (écouter).

Yodel

Le yodel est une technique de chant consistant à passer très rapidement de sa voix naturelle à sa voix de fausset. Très pratiqué dans les montagnes suisses et autrichiennes on l’appelle aussi "tyrolienne" (écouter). Un exemple de yodel très connu est le cri de Tarzan (écouter). Le yodel est aussi pratiqué dans les anciennes cultures traditionnelles africaines comme celle du Malawi (écouter).

Nô japonais et psalmodie tibétaine

Le nô est une des formes traditionnelles du théâtre japonais illustrant une conception religieuse et aristocratique de la vie. Les acteurs sont revêtus de costumes somptueux et de masques correspondants à leur personnage. Soutenus par une flûte et des percussions, dans un rythme lent et une gestuelle stylisée, ils psalmodient leur texte avec des cris et une voix gutturale qui semble sortir d’outre-tombe (écouter). Regarder un documentaire.

Cette forme de psalmodie est également pratiquée par les moines bouddhistes du Tibet au cours de leurs cérémonies (écouter).

Flamenco, Mélopée arabe et Râga hindou

Le Flamenco est un style de danse et de chant caractéristique de l’Andalousie espagnole (écouter). Principalement colporté par les gitans, il plonge ses racines dans la culture arabo-andalouse qui a dominé l’Espagne entre le VIIIe et le XVe siècle. Il est donc proche de la subtile cantillation des mélopées arabes (écouter).

On sait d’autre part que la culture arabo-musulmane a également dominé l’Inde du Nord pendant l’empire Moghol (d’origine turque) du XVIe siècle au début du XIXe siècle. Il n’est donc pas étonnant que la musique arabe ait profondément influencé le Râga hindou : mêmes inflexions subtiles, mêmes mélismes jouant avec le quart de ton (écouter).

Voix et instruments : mélanges et imitations

Il est fréquent qu’un interprète chante en même temps qu’il s’accompagne d’un instrument, généralement piano ou guitare. Mais s’il joue d’un instrument à vent, cela paraît impossible. Pourtant, dans les cultures traditionnelles, il arrive qu’un flûtiste chante en même temps qu’il souffle dans son instrument, ce qui produit un mélange curieux : écouter un extrait d’une musique cultuelle de l’Inde du Sud. Cette technique a été abondamment exploitée par des compositeurs contemporains comme Heinz Holliger dans sa sonate In(solit)air(e) (écouter).

Dans un chant du Burundi accompagné à la cithare, la voix est juste chuchotée ce qui ajoute au mystère du récit (écouter).

On trouve une imitation des tambours dans ce chant du Bénin : écouter. Ce genre de pratique vocale est aussi caractéristique du fascinant kecak balinais : écouter. Et n’est-ce pas ce que font aujourd’hui les adeptes de la Human beatbox, sorte de boîte à rythmes humaine consistant à imiter des instruments en utilisant uniquement la voix (bien aidée, il faut le reconnaître, par un micro) : écouter.

Polyphonies populaires traditionnelles

On trouve du chant polyphonique dans de nombreuses musiques populaires mais sous des formes beaucoup plus simples que dans la musique savante. Le procédé le plus fréquent consiste à partager le chant entre deux chœurs selon un principe d’alternance ou de léger tuilage (on superpose le début d’une phrase sur la fin d’une autre). Un autre procédé est celui du bourdon : un groupe tient une note, de façon continue ou rythmique, tandis qu’un autre interprète la mélodie. Les chants les plus complexes présentent des polyphonies en mouvement parallèle ou, plus rarement, en mouvement contraire (déchant). En fait, on retrouve les premières étapes suivies par l’évolution de la polyphonie savante occidentale : écouter un Kyrie du XIe siècle et lire "l’invention de la polyphonie".

Corse, Pays basque, Bulgarie

La musique Corse, essentiellement polyphonique, a pour origine les chants de berger (écouter). Elle est devenue un mode de transmission des traditions et un moyen de revendiquer l’identité, la culture et l’histoire de l’île. Elle a trouvé un nouveau public avec la formation de groupes qui n’hésitent pas à renouveler le répertoire en y associant des instruments (écouter). On observe le même phénomène au pays basque (écouter).

L’Europe centrale possède une riche et très ancienne tradition de la polyphonie vocale. En Bulgarie, elle a été popularisée sous le nom générique de « Mystère des voix bulgares ». Elle se caractérise par des chants au timbre comme "nasalisé", des harmonies ne craignant pas la dissonance et des rythmes asymétriques comme le "aksak", qualifié de « bulgare » par Béla Bartók, qui alterne le binaire et le ternaire (écouter).

Afrique : Gabon, Papous, Pygmées

On ne s’attendrait pas à trouver une musique vocale polyphonique en Afrique. Pourtant, cette musique du Gabon présente la superposition de troix voix : un chant, un bourdon et un motif mélodique répété ostinato (écouter).

Autres exemples : les voix de deux femmes Papous se répondent en écho (écouter) ; plusieurs chanteurs Pygmées mélangent leurs voix : un chant yodlé se superpose à une sorte de canon (écouter).

Voix de la nature

Animaux

Quand on évoque le chant des animaux, on pense aussitôt à celui des oiseaux, cher à Olivier Messiaen qui en a abondamment fait usage. Et il est vrai que, si l’on ouvre les oreilles au cours d’une promenade en forêt, on profite d’un véritable concert (écouter).

Bien d’autres animaux nous offrent des sons qui vont au-delà du simple cri. Citons particulièrement : le chimpanzé, qui est notre proche cousin (écouter), la baleine, dont le chant nous entraîne vers un monde lointain (écouter) et le loup, dont les hurlements, repris en écho par ses congénères, nous donne froid dans le dos (écouter).

Phénomènes naturels

De nombreux moments de la vie nous offrent de véritables paysages sonores. Par exemple : par une chaude nuit d’été, voici le crissement des grillons, le souffle du vent dans les branches et le hululement lointain du hibou (écouter) ; apprécions maintenant la fraîcheur d’un après-midi passé au bord d’une rivière (écouter) ; promenons-nous sur une plage pour goûter le bruit des vagues se brisant sur les rochers (écouter) ; et terminons par une fin de journée plus maussade car le temps est pluvieux et tourne à l’orage (écouter).

Ne dirait-on pas que ces derniers exemples de sons prélevés dans la nature donnent raison à John Cage ? Pour lui en effet la musique est partout et tout peut devenir musique si l’on se donne la peine de prêter attention à notre environnement sonore. Terminons en citant un précurseur dans l’écoute de ces chants venus d’ailleurs : « On n’écoute pas autour de soi les mille bruits de la nature, on ne guette pas assez cette musique si variée qu’elle nous offre avec tant d’abondance. Elle nous enveloppe, et nous avons vécu au milieu d’elle jusqu’à présent sans nous en apercevoir. Voilà selon moi la voie nouvelle. » (Claude Debussy in Comœdia, « la musique d’aujourd’hui est celle de demain », le 4/11/1909).

Ressources liées

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