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Schubert : analyse de Gute Nacht

fr-de-f11, le 05/09/2010

Avant toute chose, nous vous conseillons de garder à portée d’yeux le texte original et la traduction de Gute Nacht.

I) Forme et Analyse harmonique

Comme très souvent chez Franz Schubert, nous sommes là dans un genre hybride entre le Kunstlied (musique savante = composition plus recherchée) et le Volkslied (musique populaire = musique plus simple en apparence au moins). Les quatre strophes du poème vont correspondre aux quatre strophes du lied, les deux premières étant identiques. La troisième strophe comportera quelques changements minimes qui vont modifier l’atmosphère de la pièce sans toucher au matériau. Enfin, la dernière strophe, dans le mode homonyme majeur, va éclaircir l’ensemble avant que le postlude pianistique retombe dans la caractère dépressif initial. Schématiquement, on pourrait résumer la forme de ce lied comme une forme strophique variée A A A’ A². La clarté des carrures est un des autres éléments du Volkslied. Les phrases font 4 mesures chacune et fonctionnent souvent par deux. La première phrase (7-11) est répétée à l’identique (11-15) La seconde est une marche harmonique de 8 mesures et la troisième phrase (levée de 26-29) est reprise deux fois.

Le plan tonal va donc être assez unitaire. Chaque strophe commence et termine en ré. Les cinquième et sixième vers de chaque strophe (répétés deux fois dans la mise en musique de Schubert) vont être utilisés dans une marche harmonique modulante qui commence en Fa majeur (soit le ton relatif) et se poursuit en Si bémol majeur (à la sous-dominante de Fa, puisqu’il s’agit d’une marche harmonique à la quarte supérieure) avant un retour tonal pour les deux derniers vers. Dans la dernière strophe, la marche harmonique va être modifiée. En effet, elle va commencer en Sol majeur (soit la sous-dominante de Ré) pour que sa réplique soit directement dans le ton principal, c’est donc devenu une marche à la quinte et non plus à la quarte. Ainsi, l’œuvre va tourner uniquement autour des tons voisins de ré mineur et de ré majeur.

Gute Nacht Schubert
Extrait de Gute Nacht (cliquez sur l’image pour l’afficher en taille réelle)

Sur le plan harmonique, ce lied est assez classique. Les effets harmoniques proviennent principalement des pédales de tonique, notamment dans l’introduction au piano avec un accord de septième diminuée sur tonique qui est à la base des effets dramatiques (renforcés par la nuance forte piano). À la mesure 9, c’est le second degré avec septième qui est utilisé dans son troisième renversement pour continuer l’effet de pédale. La modulation dans le ton relatif mesure 15 se fait de la manière la plus simple possible : par accords communs. La résolution de la cadence parfaite (l’accord de ré mineur) est dorénavant considérée comme un accord de sixième degré de Fa majeur. Il s’enchaîne donc avec un accord de dominante suivi d’un accord du premier degré. Il résulte de cette modulation simple un effet d’éclaircissement intéressant (qui souligne le texte plus heureux « la jeune fille parlait d’amour ») réalisé avec des moyens très simples, un des éléments du Volkslied. On trouve dans la marche harmonique qui suit un accord de contre-dominante (dit aussi dominante de la dominante) qui est une alternative au quatrième degré.

À la mesure 73, le compositeur qui avait utilisé le deuxième degré en mode mineur change quelque peu l’harmonie. En effet, en mineur, le deuxième degré est un accord qui possède une caractéristique intéressante (la quinte diminuée) donnant un effet dramatique particulier. Dans le mode majeur, cela correspondrait à un simple accord mineur. Schubert le remplace par un accord de dominante de dominante (sur le troisième renversement afin de garder sa pédale de tonique). Mais la résolution est assez inhabituelle. Il va altérer la fondamentale (le mi) de son accord qui va devenir un accord diminué (normalement, le septième degré de fa# mineur) interprété comme accord de passage et résolu sur le première degré de ré majeur. La modulation de la marche harmonique se fait grâce au deuxième degré, interprété comme sixième de sol majeur. La cadence de la mesure 96-97 se veut non-conclusive. Cependant, Schubert ne pouvait pas faire une cadence rompue (enchaînement V-VI) car le retour au mode mineur par chromatisme nécessitait un accord du premier degré. Il remplaça donc la traditionnelle cadence rompue par une cadence imparfaite avec un accord de premier degré reversé. Après un glissement chromatique typiquement Schubertien (la juxtaposition du majeur et du mineur étant une des signatures du viennois), ce lied se termine dans sa tonalité de départ.

Extrait de Gute Nacht de Schubert

II) Motifs et procédés musicaux

En plus de la structure unitaire du lied, le compositeur y introduit un motif récurrent, la broderie supérieur sur un rythme trochaïque (croche pointée, double, croche) qui se trouve dans la mélodie dans les deux premières phrases (mesures 9 et 17) et dans l’accompagnement (mesure 24-27). Elle disparaît dans la première phrase de la troisième strophe replacée par un arpège moins statique.

Un autre travail motivique a été réalisé par le compositeur sur les premiers et derniers éléments de chaque strophe. On retrouve par exemple la descente de la mesure 8 (et sa levée) au piano (mesure 2 et sa levée). À l’instrument accompagnateur, le fa est une note étrangère (appogiature du mi) alors qu’à la voix, il est constitutif. Ensuite, le fa est éliminé du motif à la mesure 2. À la fin de la première strophe, l’accompagnement fait encore un motif conclusif (mesure 32) sur une conclusion plus « neutre » à la voix. Ce motif pianistique est une anticipation de la conclusion de la mesure 64 (fin de la troisième strophe).

Outre les moments où il est seul (introduction, ritournelles et postlude), le piano a un rôle essentiellement d’accompagnateur qui pose l’harmonie sur des croches répétées. On trouve un contrechant qui accompagne la phrase en majeur. La cellule au rythme dactyle (croche deux doubles) est d’ailleurs imitée à la mesure suivante à la main gauche, un des seuls éléments de polyphonie du lied (là encore, on constate la volonté du compositeur de faire dans la simplicité). Pour la troisième et dernière phrase de chaque strophe, on peut constater un léger changement de construction. En effet, l’accompagnement pianistique va introduire un élément thématique (la broderie) qui va se superposer à la voix, faisant d’abord entendre l’éméent seul avant de le superposer. Cette manière de construction sera souvent utilisée par les compositeurs lors de l’introduction du lied (citons Schubert dans une autre pièce du voyage d’hiver, Gefrorne Thränen, ou encore Robert Schumann avec Zwielicht [uniquement basé sur des superpositions], dizième pièce des liederkreis opus 40).

III) Texte et interprétation

Le décor est planté dès la première mesure juste par l’accompagnement pianistique. Le fait de faire commencer l’œuvre par l’accompagnement du thème est une donnée plutôt romantique. Chez les classiques, le thème est souvent dès le début (marche turque, petite musique de nuit,...). Chez les romantiques, on a souvent une mesure d’introduction qui nous plonge dans l’atmosphère de la pièce (symphonie italienne de Felix Mendelssohn-Bartholdy, sicilienne de Gabriel Fauré)...De ce point de vue, la quarantième symphonie de Wolfgang Mozart serait pré-romantique.

Dès le début, la thématique du voyageur est présente. Les croches répétées donnent une impression de mouvement, certes, mais de mouvement inutile, comme si le voyageur était perdu et tournait en rond, ce qui est une métaphore de sa vie amoureuse, bloquée. La multitude de cadences parfaites faibles (très courtes et sans grande importance fonctionnelle) va également dans ce sens. Il n’y a pas de demi-cadence, donc pas de repos. Cependant, le discours est structuré quand même. Le fait même d’introduire une ritournelle à ce lied est un principe de fixité.

Le mot Fremd qui ouvre le lied et le cycle est particulièrement mis en valeur à la fois dans le poème, anaphore des deux premiers vers, et dans la musique, attaqué dans l’aigu. D’ailleurs, la première et troisième phrases sont en courbe descendante (elles commencent dans l’aigu et se finissent dans le grave) alors que la deuxième (celle qui parle d’amour en majeur) est une marche ascendante. En terme de proportion par rapport au texte, les vers 1-4 forment la première phrase répétée, les vers 5 et 6 forment la deuxième phrase : ils sont répétés deux fois afin de réaliser la marche harmonique et les deux derniers vers sont eux aussi répétés, à l’exception de la cadence finale.

La construction de la troisième strophe est aussi intéressante. Outre les modifications et l’amplification de l’accompagnement donnant une plus grande ampleur et plus de profondeur à la musique, le compositeur a travaillé sa versification. Il substitue au septième vers la répétition du cinquième vers. À la reprise musicale, il donne enfin le septième et le huitième ensemble, rappelant l’idée de voyage.

La modulation au ton homonyme de ré majeur donne une ambiance étrange à la musique. Certes, on y sent un apaisement mais également une légère tension, probablement du fait que ce soit plus aigu (fa# au lieu de fa comme note culminante). Le mode majeur est souvent utilisé chez Schubert comme utopie, comme rêve (Passages chantés du roi des aulnes dans le lied éponyme). Ici, il pourrait très bien être la mise en musique des rêves paisibles de l’aimée du voyageur. L’amplification de l’accompagnement continue, avec de lourds accords, presque saturés à la main gauche du piano dans le grave. On ne sait pas vraiment si le voyageur est sincère ou sarcastique (« Je ne veux pas te déranger »), ou encore s’il cherche à la faire culpabiliser (« Pour que tu puisses voir que j’ai pensé à toi »). Le passage radical en mineur de cette ultime phrase peut être un énervement du personnage ou une profonde tristesse.

Le rythme harmonique bascule à contre-temps comme si le voyageur était déboussolé de sa triste expérience amoureuse. Il boite et s’en va. L’errance et la solitude vont l’accompagner dans tout ce Winterreise.

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