Le théâtre lyrique occidental se présente essentiellement sous deux formes, selon le rapport que la musique entretient avec le texte (qui est nommé « livret d’opéra ») :
1 - soit le livret est entièrement chanté : c’est la forme traditionnelle de l’opéra,
2 - soit le livret est en partie chanté et en partie parlé : c’est la forme traditionnelle de l’opéra-comique (appellation française), Singspiel en allemand, opera buffa en italien, ballad opéra en anglais ou zarzuela en espagnol.
Mais ces deux formes ont, selon les pays et les périodes historiques, reçu de nombreux autres noms. Le but de ce dossier est d’essayer d’y voir clair dans cette jungle des appellations.
C’est en Italie, au début du XVIIe siècle, que naît l’opéra en même temps que le style dit « monodie accompagnée » (voir Les débuts du baroque). À cette époque, il faut signaler le rôle essentiel de la « Camerata Bardi » (groupe de musiciens et d’intellectuels humanistes florentins), qui croit retrouver les racines grecques de la musique en inventant ce nouveau style dont émergera l’opéra. À la suite de la Daphné (perdue) et d’Euridice, prémices d’opéra par Jacopo Péri, la première manifestation aboutie de cette nouvelle forme est L’Orfeo, composé par Claudio Monteverdi en 1607, pour le Théâtre de la Cour du prince de Mantoue, à l’occasion de l’ouverture du carnaval (écouter des extraits). Le terme « opéra » pour désigner une œuvre dramatique entièrement chantée, ne sera généralisé qu’à la fin du XVIIe siècle. En Italie, les premières compositions de ce genre seront d’abord qualifiées de « dramma per musica ». Par exemple, la couverture de la partition originale de l’Orfeo porte le sous-titre de Favola in musica (fable musicale).
Dès le début, l’opéra se présente sous la forme d’une alternance entre des parties proches de la parole, destinées à faire avancer le récit (d’où l’adjectif récitatives pour les qualifier, récitativo en italien), et des airs où l’action est suspendue pour être commentée ou exprimer les sentiments des personnages. Les récitatifs sont de deux types : secco (secs : accompagnés par un petit nombre d’instruments comme le clavecin) ou accompagnato (accompagnés par un ensemble instrumental plus important). Wolfgang Mozart est familier du récitatif secco : en voici un exemple au début des Noces de Figaro suivi du début de l’air suivant (écouter).
Dès le XVIIe siècle, l’opéra italien distingue les deux types : sérieux (opera seria) et léger (opera buffa). Cela vaut également pour la France mais avec deux différences importantes : une plus grande place accordée à la danse et un texte plus soigné. C’est ainsi que l’œuvre de Jean-Baptiste Lully (collaborant avec Molière et Quinault) compte une quinzaine de tragédies lyriques (Alceste, Athis, Armide…) et une dizaine de comédies-ballets (notamment Le bourgeois gentilhomme) qui alternent récitatifs accompagnés, airs, chœurs et ballets. Cette structure sera reprise au XVIIIe siècle notamment par André Campra (l’Europe galante, Achille…) et Jean-Philippe Rameau (Hippolyte et Aricie, les Indes galantes, Dardanus…). Cette alternance du récitatif accompagné, du chant et de la danse est une forme typiquement française, complètement liée à une époque (fin XVIIe et XVIIIe siècle).
Au XIXe siècle, l’opéra devient une forme plus stable. Le ballet y est toujours présent mais comme simple élément parmi les autres parties musicales et, même en France, il deviendra vite facultatif. Le récitatif secco, lui, disparaît complètement au profit du récitatif accompagnato, si bien que l’opéra se présente désormais comme un flot continu de musique épousant étroitement les inflexions du texte de façon à traduire au mieux les sentiments des personnages. Il retrouve ainsi ses caractères d’origine (l’Orfeo de Monteverdi). Les grands noms qui marquent l’histoire du genre durant cette période sont : Gioacchino Rossini, Vincenzo Bellini, Gaetano Donizetti et Giuseppe Verdi en Italie ; Ludwig van Beethoven, Carl Maria von Weber et Richard Wagner en Allemagne ; Mickaïl Ivanovitch Glinka, Modest Moussorgski et Piotr Ilitch Tchaïkovski en Russie. En France, mis à part Hector Berlioz, Charles Gounod et Jules Massenet, qui respectent les formes du spectacle lyrique de leur époque, on assiste à l’apparition de ce qu’il est convenu d’appeler le « Grand opéra ». Ce genre, combinaison de spectacle à grands effets, d’actions, de ballets et de musique, atteint son apogée avec Giacomo Meyerbeer (Robert le Diable, Les Huguenots…). Rossini s’y essaiera aussi, pour conquérir la scène parisienne, avec son dernier ouvrage, Guillaume Tell. À noter qu’en France, Carmen, le célèbre chef-d’œuvre de Georges Bizet, n’est pas un opéra mais un opéra-comique dans la mesure où quelques dialogues parlés séparent les nombreux numéros chantés. Cependant, étant donné la quantité écrasante de ces derniers par rapport au faible nombre des dialogues, on comprend qu’il est de tradition de compter Carmen parmi les opéras.
Au XXe siècle, le genre de l’opéra est poursuivi, notamment par des personnalités comme Claude Debussy, Giacomo Puccini, Richard Strauss, Igor Stravinsky et Francis Poulenc. Pour entendre un choix d’opéras sous-titrés sur YouTube, ouvrir les dossiers Musique vocale profane (opéras, mélodies…) ainsi que « Musique vocale profane (l’opéra : de belles histoires) » (à venir).
Comme on l’a déjà indiqué, la principale différence entre l’opéra-comique et l’opéra est que le premier comporte des dialogues parlés entre les parties chantées alors que le second est entièrement chanté ; on constate aussi que le sujet des livrets du premier est en général plus léger. L’équivalent allemand du terme français est Singspiel ; en Italie on parle d’opera buffa et en Espagne de zarzuela.
En France, le terme « opéra-comique » apparaît en 1714, date à laquelle une troupe obtient un privilège royal pour représenter des spectacles « composés de musique, de danse, de machines, et de décorations. » Malgré la rivalité des Italiens implantés à Paris dès le début du XVIIIe siècle, l’opéra-comique trouve peu à peu sa place dans le paysage musical. Au XVIIIe, il est servi par des maîtres aussi talentueux que le peintre François Boucher (pour les décors et costumes), le musicien Jean-Philippe Rameau et le librettiste Charles Simon Favart (qui donnera d’ailleurs plus tard son nom à la salle de l’opéra-comique). En Autriche, le nouveau genre inspire Christoph Willibald Gluck et Wolfgang Mozart (La Flûte Enchantée : écouter un extrait).
Revenons à Paris où l’opéra-comique recherche toujours une salle digne d’accueillir un public de plus en plus nombreux. Ce sera fait en 1783 avec la construction d’une salle de 1100 places, nommée d’abord théâtre Favart. C’est la révolution française qui lui donnera son nom définitif d’Opéra-Comique National. Elle sera inaugurée avec des œuvres d’André Grétry. Possédant enfin un lieu qui lui est dévolu, le genre peut s’épanouir en toute liberté, d’autant que, avant d’écrire un opéra, qui est la forme la plus noble, les compositeurs doivent faire leurs preuves en se faisant connaître par l’écriture d’un opéra-comique. C’est ainsi que des créateurs comme Adolf Adam, Ferdinand Hérold ou Ambroise Thomas deviennent populaires.
Le début du XIXe siècle voit l’âge d’or de l’opéra-comique avec des compositeurs comme Hérold, Daniel-François-Esprit Auber et François-Adrien Boieldieu. Le succès est tel que, pour s’attirer les faveurs du public parisien, les plus célèbres compositeurs sacrifient au genre : Hector Berlioz, Giuseppe Verdi et même Richard Wagner.
Dans la deuxième partie du XIXe siècle, le théâtre de l’opéra-comique subit la sérieuse concurrence de la salle ouverte en 1855 par le truculent Jacques Offenbach (d’abord boudé par le public à cause de ses origines étrangères) pour accueillir ses opéras-bouffes. Ceux-ci, inspirés de l’opéra-buffa italien avaient déjà produit des chefs-d’œuvre : Les Noces de Figaro (1786) de Mozart, Le Barbier de Séville (1816) de Rossini. Ils sont une forme d’opéra-comique plus burlesque et faisant une plus grande part aux dialogues parlés. Bien que très populaires et souvent en rapport avec l’actualité, ils ne sont jamais vulgaires. De plus, la musique et la mise en scène y sont de qualité. Dans la hiérarchie des genres, l’opéra bouffe est classé au-dessus de l’opérette (qui traite plutôt d’histoires à l’eau de rose) mais en dessous de l’opéra-comique et bien sûr de l’opéra. C’est d’ailleurs à ce dernier qu’Offenbach, pour ne pas être considéré comme un compositeur de second ordre, consacrera ses derniers jours en composant en 1881 Les Contes d’Hoffmann.
À la fin du XIXe siècle, le directeur de la salle de l’opéra-comique s’ouvre à des œuvres plus ambitieuses. C’est ainsi que sont créées : en 1875, Carmen de Georges Bizet, en 1881 Les Contes d’Hoffmann et en 1902, Pélléas et Mélisande de Claude Debussy. Cette dernière œuvre nous amène au seuil du XXe siècle où l’opéra-bouffe connaîtra encore de belles heures avec Mavra (1922) d’Igor Stravinski, ainsi que Les Mamelles de Tirésias (1947 : écouter un extrait) de Francis Poulenc.
Et la comédie musicale dans tout cela ? En mêlant dialogues parlés, musique et danse, elle apparaît comme une version américaine de l’opéra-comique (ou du Singpiel) du début XVIIIe. On pourrait même lui trouver des ressemblances avec la comédie-ballet du XVIIe siècle français : rien de bien nouveau dans tout cela. Et pourtant la comédie musicale a quelque chose de moderne et d’original : le caractère jazzy de sa musique, son rythme et son énergie qui collent bien avec notre temps. En outre, la cohésion du spectacle est assurée par la forte implication d’interprètes aux multiples talents : à la fois comédiens, chanteurs et danseurs. Si l’on ajoute les moyens techniques fastueux qui sont déployés, cela en fait la forme de spectacle populaire la plus appréciée aujourd’hui. On peut notamment citer le succès phénoménal rencontré par West Side Story (musique de Léonard Bernstein : écouter un extrait). Et chaque production actuelle (Cabaret, Notre-Dame de Paris, Les Dix Commandements, etc.) attire un nombreux public.