Le terme « symphonie » désigne le genre orchestral le plus important (avec le concerto), de la musique occidentale à partir du XVIIIe siècle. Une mention spéciale doit être accordée à Ludwig van Beethoven dont les neuf symphonies, et en particulier les n° 5, 6 et bien sûr la 9 (écouter un extrait), ont popularisé le genre sur toute la planète (Symphozik, qui ne recule devant rien, n’a pas hésité à exploiter cette gloire mondiale pour son test musical de personnalité).
Contre toute attente, la symphonie est la dernière-née dans la famille des grands genres instrumentaux de la musique classique. Hé oui, elle pointe son nez au début du XVIIIe siècle, bien après la sonate, la suite de danse ou le concerto, et ne devient un genre incontournable qu’au milieu du XVIIIe siècle.
Étymologiquement, le mot symphonie signifie « avec des sons » (du grec sun « avec » et phônê « son »). Au sens général, il désigne une composition instrumentale savante, de proportions généralement vastes et comprenant plusieurs mouvements.
Au tout début du XVIIe siècle, la symphonie italienne, ou "sinfonia", est une pièce orchestrale introductive, qui sert d’ouverture aux opéras (parfois aussi aux oratorios). En un seul mouvement, elle enchaînait trois moments contrastés, vif/lent/vif et sa durée ne dépassait pas la dizaine de minutes : c’est notamment le cas de l’Ottavia, que Domenico Scarlatti compose en 1707 (écouter une version abrégée de l’ouverture).
Puis peu à peu, elle se détache du spectacle pour devenir une pièce de concert et c’est encore en Italie (décidément très en pointe durant cette période) que ça se passe, notamment à Milan autour du grand maître qui y règne à partir de la fin des années 1720 Giovanni Baptista Samartini (v.1700-1775) : il compose pas moins de 70 sinfonias (écouter des extraits de celle en sol majeur JC 46). Le genre devient rapidement populaire dans toute l’Europe, notamment en Allemagne et en Angleterre (la France préfère la coupe lent/vif/lent depuis Jean-Baptiste Lully) : à la charnière des périodes baroque et classique, de nombreuses sinfonias sont composées, notamment par les fils de J. S. Bach. Voici de larges extraits de celle en ré majeur WQ 83 n° 1 de Carl Philipp Emanuel où l’on entend, dans le premier mouvement, les prémices de la forme sonate bithématique : écouter une version abrégée).
Ce titre savant (on vous a prévenu : Symphozik ne recule devant rien) traduit l’incertitude du vocabulaire utilisé pour titrer les œuvres pendant la période baroque. C’est ainsi que le mot "sinfonia" peut, avec le sens vague d’"accord de sons harmonieux", recouvrir toutes sortes de formes (instrumentales mais aussi vocales). Par rapport à la forme instrumentale en 3 mouvements telle qu’elle se codifie au début du XVIIIe siècle, on voit éclore toutes sortes d’autres "sinfonia".Voici quelques exemples : Giovanni Gabrieli et ses Sinfoniae Sacrae (1597 : écouter un extrait), Louis Nicolas Clairambault qui nomme "sinfonias" ses sonates pour un ou deux instruments avec continuo, telle celle intitulée « la magnifique » (1704 : écouter le début), Jean-Sébastien Bach qui fait précéder une vingtaine de ses cantates par des sinfonias instrumentales (qu’il réutilisera d’ailleurs dans ses concertos : écouter un exemple avec la BWV 29). Ajoutons quelques exemples ultérieurs à la période baroque : Félix Mendelssohn nomme ainsi ses symphonies de jeunesse en un seul mouvement (écouter le début de la Sinfonia n° 10) ; Bohuslav Martinu compose en 1932 et 1949 deux Sinfonias concertantes qui réfèrent plutôt au concerto grosso baroque (écouter le début de la n° 2) ; Benjamin Britten compose en 1940 une tragique Sinfonia da requiem (écouter le début "Lacrimosa") où il déplore les malheurs de la guerre.
L’évolution de la symphonie au XVIIIe siècle est intimement liée à l’évolution de l’orchestre lui-même. Là où commencent à se former les grands orchestres d’Europe, se répand, se cultive et se perfectionne le genre symphonique, C’est surtout le cas dans les pays germaniques (cf. les Français savent-ils écrire des symphonies ?, notamment avec ce qu’il est convenu d’appeler l’école de Mannheim, ville où le prince Karl Théodor rassemble d’excellents musiciens pour constituer un formidable orchestre regardé par l’Europe entière. C’est aussi ce qui se passe à la cour des princes Esterazzi où régna Joseph Haydn pendant une quarantaine d’années. Avec Haydn qui compose une centaine de symphonies, le genre se fixe désormais autour de quatre mouvements.
Prenons comme exemple sa Symphonie nº 89 (1787) qui illustre parfaitement la structure de la symphonie classique. Elle débute par un mouvement rapide qui est le plus long et surtout le plus architecturé puisqu’il emprunte la forme sonate (écouter le début). Le mouvement lent qui suit (andante) est dédié à l’épanchement de la mélodie (écouter le début). Résurgence de la suite instrumentale, le troisième mouvement est un Menuet, la partie la plus brève de la symphonie (écouter). Le dernier mouvement, vif et enlevé, est un Rondo (succession de couplets et de refrains) qui boucle le tout avec brio (écouter).
Les grands centres en Europe sont alors Mannheim, Vienne, Berlin, Paris et Londres, et ils se distinguent par la composition instrumentale de leurs orchestres, qui adjoignent au premier pupitre des cordes (le plus important), les cors, puis les hautbois et peu à peu les flûtes, les trompettes, puis les clarinettes. C’est à partir de cet héritage que Ludwig van Beethoven construit ses neuf symphonies, apportant à chacune d’elles des nouveautés, tant dans l’instrumentation, avec l’ajout du piccolo ou des trombones par exemple, que dans la facture de chaque mouvement qui devient de plus en plus ample. Il transforme le menuet en scherzo et il fait porter toute l’attention de l’œuvre sur le final : écoute et structure de sa Cinquième symphonie. Dans le final de la neuvième, il introduit même les voix dans ce genre qui était jusqu’alors purement instrumental (écouter). Carl Maria von Weber se montre moins inventif dans ses deux symphonies (composées à 21 ans) qui sont tombées dans un relatif oubli. Franz Schubert quant à lui, ajoute au genre sa grâce particulière (écouter le début de sa Cinquième Symphonie) parfois tintée d’une profonde mélancolie (écouter un extrait de la Huitième Symphonie "Inachevée"). Sa dernière symphonie, la « no 9 dite "la grande" (1825 : écouter un extrait), annonce par son ampleur celles d’Anton Bruckner.
Introduite par Beethoven dans la symphonie, la voix continuera d’être présente au sein de ce genre, par exemple chez Hector Berlioz dans sa symphonie dramatique Roméo et Juliette (1831 : écouter le Scherzo de Mercutio) mais aussi à l’extrême fin du XIXe siècle chez Gustav Mahler dans ses Symphonies n° 2, 3, 4 et 8 dite "des mille" (1907 : écouter un extrait). Tout au long de l’époque romantique, l’orchestre gagne en nombre et en puissance avec notamment les cinq symphonies de Félix Mendelssohn, les quatre de Robert Schumann, les neuf d’Anton Bruckner, les quatre de Johannes Brahms et les neuf de Gustav Mahler. La petite clarinette en mi bémol, le contrebasson, le tuba ou encore la harpe s’installent dans l’orchestre et la symphonie, en plus de s’enrichir de nouveaux timbres, gagne en durée puisqu’elle peut désormais atteindre une heure, voire plus avec Bruckner et Mahler (avec ses six mouvements, sa Symphonie nº 3 dure près d’1h20 !).
Les noms des compositeurs cités jusqu’ici montrent que la symphonie est une forme typiquement germanique. C’est d’ailleurs dans sa sphère d’influence qu’on trouve les créateurs qui estiment que la composition d’une ou de plusieurs symphonies est nécessaire au couronnement de leur œuvre symphonique. On fera une exception avec Georges Bizet dont la délicieuse Symphonie en ut majeur, composée en 1855 (à 17 ans) est plutôt à considérer comme un devoir de fin d’études (écouter la fin). En France, où le genre est jugé trop sérieux, voir compassé, les compositeurs que cette forme codifiée attire cependant, en livrent une version quelque peu adaptée (en savoir plus). En 1874, Édouard Lalo compose sa célèbre Symphonie espagnole qui ressemble plutôt à un concerto pour violon (écouter la fin du mvt 1) ; avec la dernière symphonie de Camille Saint-Saëns, la no 3 avec orgue (1886), l’orchestre gagne en nombre et en puissance (écouter le début du mvt 3) ; des 4 symphonies de Vincent d’Indy, on connaît surtout la dernière sur un chant montagnard français (dite "cévenole") avec piano, (1886 : écouter un extrait) ; citons enfin l’unique, mais novatrice par sa forme cyclique, Symphonie en ré mineur de César Franck (1888 : écouter la fin) qui sera suivie par celle en si bémol majeur de son disciple Ernest Chausson (1890 : écouter un extrait).
Parmi les membres du Groupe des Cinq russes, qui refusent les influences européennes, Alexandre Borodine est le seul à se tourner vers la symphonie mais avec difficulté. C’est seulement en 1876 qu’il parvient à terminer sa luxuriante Symphonie no 2 (commencée en 1869). Construite à partir de matériaux qu’il destinait à son opéra Le prince Igor, il la surnomme "épique" (écouter le début). Le plus occidental des Russes, Piotr Ilitch Tchaikovski (il ne fait d’ailleurs pas partie du Groupe des Cinq), compose pour sa part six symphonies dont la désespérée nº 6 "pathétique" (1893 : écouter la fin).
Antonin Dvořák, soucieux d’établir l’école nationale tchèque à partir de la solide tradition germanique, compose entre 1865 et 1893 pas moins de neuf symphonies dont la plus connue est celle dite "du Nouveau Monde". Mais c’est de la no 7 en ré mineur (1885) que je donnerai un exemple (écouter la fin du mvt 1). Pour ce qui est des autres écoles nationales, on se contentera de citer les trois symphonies de l’anglais Edward Elgar qui, par ses phrases longues et puissantes, est un peu le Brahms anglais (écouter un extrait de sa Première Symphonie, 1908) et le Finlandais Jean Julius Christian Sibelius : cet « impressionniste nordique », aujourd’hui redécouvert, nous introduit dans le XXe siècle (écouter un extrait de sa Septième Symphonie, 1924).
En dépit des nouveautés apportées par le XIXe siècle dans les nouveaux genres instrumentaux destinés au concert (je pense notamment au poème symphonique), le genre de la symphonie sera loin de s’éteindre avec le romantisme. On continue non seulement de jouer le répertoire symphonique du passé, mais également de composer, au XXe siècle, des symphonies en quatre mouvements suivant l’exemple d’Elgar et de Sibelius précédemment cités. Citons d’abord deux compositeurs russes attachés aux formes traditionnelles : la production de Serge Prokofiev est jalonnée par sept symphonies (écouter le début de sa Cinquième) ; quant à Dimitri Chostakovitch, il en compose pas moins de 15 (écouter la fin de sa Cinquième). En France, c’est sans doute Albert Roussel qui est le plus respectueux du genre avec ses quatre symphonies, notamment la no 3 (1930 : écouter le scherzo). C’est aussi le cas des cinq symphonies d’Arthur Honegger, mais la nº 2, écrite pour cordes et trompette ad libitum, adresse un clin d’œil à Bach (1941 : écouter le choral du 3ème mouvement). Ajoutons Henri Dutilleux : si sa Première symphonie adopte la coupe traditionnelle, sa Seconde "Le Double" (1959) ne comporte que trois mouvements et reprend le principe de la symphonie concertante où un groupe réduit d’instrumentistes répond à un grand orchestre (écouter le début du mvt 3).
Le respect de la forme traditionnelle de la symphonie va de pair avec le fort courant néoclassique qui anime le climat artistique de l’entre-deux-guerres. Durant cette période, Sergueï Sergueïevitch Prokofiev produit ses premières symphonies, notamment la n° 1 dite classique (1917 : écouter le menuet). En 1934, Benjamin Britten compose sa Simple symphonie pour orchestre à cordes, sur des thèmes de jeunesse d’allure populaire (écouter le début). Quant à Igor Stravinski, sa Symphonie en ut date de 1940. La référence au passé est peut-être une façon d’échapper à la période troublée où elle est écrite (début de la guerre, deuils familiaux). La tonalité d’ut marque bien son classicisme et elle rappelle un peu le style de Tchaïkovski (écouter le début).
Mais, même quand les compositeurs se réfèrent au passé, ils ne se privent pas de malmener quelque peu le genre. De nombreuses symphonies ont été écrites au XXe siècle et jusqu’à aujourd’hui mais, en utilisant le mot "symphonie", les compositeurs désirent surtout (non parfois sans une certaine malice) marquer leur intention de "laisser à la postérité" une œuvre ambitieuse en plusieurs mouvements à l’exemple de leurs illustres prédécesseurs. On ne prendra que quelques exemples : Olivier Messiaen et sa Turangalîla-Symphonie (1948 : écouter le début), Luciano Berio et sa Sinfonia (1968 : écouter le début du mvt 3), Henryk Górecki et sa Symphonie no 3 pour orchestre et soprano (1976 : écouter un extrait) et enfin Pierre Henry et sa Dixième symphonie, hommage à Beethoven (1979 : écouter un extrait).