Il est amusant de comparer la façon dont les compositeurs de différentes époques ont traité un même sujet. En voici quelques exemples dans ce dossier, frère jumeau du dossier Un même thème pour des musiques très diverses.
Voir notre dossier : Les animaux dans la musique
Il y aurait bien sûr tout un dossier à écrire sur l’utilisation des chants d’oiseaux dans la musique. Si nous consacrons un chapitre spécial au rossignol c’est parce que c’est l’un des plus mélodieux mais aussi l’un des plus complexes et des plus variés des chants d’oiseaux : selon les spécialistes, son répertoire comprend entre 120 et 260 séquences différentes ! (écouter). Il n’est donc pas étonnant que de nombreux compositeurs s’en soient inspirés dans le domaine de la musique instrumentale ou vocale. Voici quelques exemples où l’on reconnaîtra ce qui marque le chant de l’oiseau (notes répétées en batterie et trilles) : de Heinrich Biber, Nachtigal, extrait de Sonata représentativa (écouter) ; de Frantz Liszt, Le Rossignol, S 250 n° 1 (écouter) ; de Igor Stravinski, Le Rossignol (acte II : écouter) ; d’Olivier Messiaen, Réveil des oiseaux, extrait (écouter) et enfin Rossignol, pièce du folklore roumain (écouter).
La forêt sombre et profonde a abondamment inspiré le romantisme allemand. C’est ainsi que Franz Schubert, dans son célèbre Lied Erlkönig (Le Roi des aulnes) suggère une chevauchée nocturne dans la forêt. Mais c’est un autre Lied que nous proposons en exemple : Chant nocturne dans la forêt D. 913 où les cors font écho au chœur (écouter). Robert Schumann n’est pas en reste avec le Lieu maudit de ses Scènes de la forêt (1849 : écouter). Chez Richard Wagner, l’acte 1 de Siegfried nous fait entendre les fameux Murmures de la forêt (écouter). C’est encore une forêt menaçante qu’Albert Roussel nous présente dans sa Symphonie n° 1 qu’il sous-titre Le poème de la forêt (1904-1908 : écouter le début). On est encore dans cet état d’esprit avec la forêt lugubre dans laquelle se déroule l’action d’Erwartung, monodrame d’Arnold Schönberg (1908 : écouter le début). Le cor est l’instrument roi dans la triomphale Arrivée en forêt de Une symphonie alpestre de Richard Strauss. Mais le cheminement se révélera plutôt pénible bien qu’agrémenté par quelques chants d’oiseaux (1915 : écouter).
À partir de la période romantique l’eau sous toutes ses formes devient un sujet d’inspiration fréquent pour les compositeurs, qui rivalisent en fluidité, clapotements et autres ruissellements. On pense d’abord bien sûr à Franz Liszt et ses Jeux d’eau à la Villa d’Este dans les Années de Pèlerinage cahier n° 3 (écouter). Dans L’Or du Rhin de Richard Wagner, le Rhin est un véritable personnage qui a son propre leitmotiv (écouter). Un autre cours d’eau est évoqué par Bedrich Smetana : voir notre dossier La Moldau. Dans le Carnaval des animaux (1886), Camille Saint-Saëns évoque un Aquarium tout en légèreté et en transparence (écouter). Parmi les nombreuses œuvres que Claude Debussy consacre à l’élément liquide, on retiendra particulièrement les Jardins sous la pluie (troisième pièce des Estampes pour piano, 1903 : écouter) et Reflets dans l’eau (première pièce des Images pour piano, 1905 : écouter). De Maurice Ravel, on retiendra surtout les Jeux d’eau (1901 : écouter) et Ondine, première pièce de Gaspard de la nuit pour piano (1908 : écouter). Terminons ce rapide florilège par la Fête des belles eaux pour 6 ondes Martenot d’Olivier Messiaen (1937 : écouter).
De tout temps, les compositeurs se sont plu à proposer un équivalent musical de ces spectaculaires phénomènes météorologiques. L’opéra baroque en offre de nombreux exemples comme celui de Jean-Philippe Rameau dans Hippolyte et Aricie (1733 : écouter). Citons aussi Antonio Vivaldi et l’orage du Printemps de ses incontournables Saisons (vers 1720 : écouter). Un des sommets du genre est atteint par Ludwig van Beethoven dans le 4ème mouvement de sa Symphonie pastorale (1808 : écouter). Gioacchino Rossini parvient à soutenir la comparaison dans sa célèbre Ouverture de Guillaume Tell (1829 : écouter). Au début de La Walkyrie, deuxième opéra de la Tétralogie, Richard Wagner nous offre un orage à la dimension de ce qui se joue dans le drame (1854 : écouter). Terminons avec la tempête de Une symphonie alpestre de Richard Strauss (1915 : écouter).
L’invention du chemin de fer est une des avancées les plus importantes de la révolution industrielle au XIXe siècle. Elle a profondément marqué les esprits et on vérifie sa présence dans toutes les expressions artistiques. Un des premiers musiciens à s’en inspirer est probablement le compositeur et pianiste virtuose Alkan : son Chemin de fer op. 27 est une étude en forme de mouvement perpétuel (1844 : écouter). Il sera fréquemment suivi, notamment par Arthur Honegger avec son poème symphonique Pacific 231 (1923 : écouter) qui inaugure le mouvement dit urbaniste illustré aussi par Serge Prokofiev.
Dans cette époque fascinée par le monde industriel, Maurice Ravel déclare à journaliste en 1933 : « Les sons ordinaires et quotidiens de nos chemins de fer pourraient devenir des œuvres qui nous raconteraient nos progrès, qui nous montreraient comment nous avons surmonté les obstacles naturels et permis à l’ingéniosité humaine de triompher ! ». Heitor Villa-Lobos ne le dément pas quand il compose à la même époque le final de sa Bachianas Brasileras n° 2, évocation pittoresque d’un petit train dans la montagne (écouter). Plus près de nous, le compositeur minimaliste américain Steve Reich ajoute une dimension tragique en évoquant dans Different Trains (1988) les convois de la déportation pendant la seconde guerre mondiale (écouter). Mais le train suggère avant tout un élan, une puissance et une énergie qui ne pouvaient manquer d’intéresser aussi les jazzmen, dont Django Reinhardt et son Hot Club (écouter).
On commencera par cette étonnante confidence que Maurice Ravel confie à un journaliste en 1933 : « Dans notre quête d’inspiration neuve nous ne saurions négliger les divers aspects de la vie moderne. On dit que dans nos villes la circulation bourdonne, que les machines ronronnent, et si ces sons peuvent paraître agréables ou désagréables, il n’y a aucune raison pour qu’ils ne soient pas traduit en de grandes musiques. Aussi quelle histoire musicale se niche dans chaque usine ? Les musiciens ainsi que les historiens et les auteurs de littérature doivent transmettre la légende mécanique de notre époque à nos enfants et à nos petits enfants. C’est un art véritable que de mettre en musique de telles sonorités. Bien entendu, la musique ne suggère pas nécessairement les bruits mais elle peut raconter l’histoire de la machine et interpréter les oeuvres de la machine. Quant à mon boléro, c’est à une usine que je dois de l’avoir conçu. Un jour j’aimerai le donner avec un vaste ensemble industriel en arrière plan. » Et si on le prenait au mot ? (écouter).
Mais d’autres compositeurs ne l’avaient pas attendu. Dans les années 1920, sous l’influence du Futurisme et du Constructivisme, ils avaient exalté le monde industriel dans ce qu’on a appelé la Musique urbaniste (rappelons que c’est en 1923 qu’Arthur Honegger compose son poème symphonique Pacific 231). Citons notamment Serge Prokofiev dans la scène de l’usine de son ballet Le Pas d’acier (1926 : écouter). On retrouve ce style qu’il qualifie lui-même de « motorik » dans sa Symphonie n° 2 dite « de fer et d’acier » (1925 : écouter le début). À peine sorti du conservatoire, Alexandre Mossolov compose un ballet dont est extrait Les Fonderies d’acier (1927 : écouter).
Avec l’avènement de la famille bourgeoise au XIXe siècle et les progrès du contrôle des naissances, l’enfant est de moins en moins considéré comme un "accident", et il acquiert une place de plus en plus importante au sein du foyer. De nombreux compositeurs vont lui consacrer des œuvres. Commençons par Robert Schumann qui, dans ses Scènes d’enfants (1838), se penche sur le berceau du nouveau-né (écouter L’enfant dort). La plus connue des berceuses est probablement celle de Johannes Brahms qu’on utilise dans les petits manèges qui tournent au-dessus des berceaux (écouter). En 1897, Gabriel Fauré compose Dolly, une suite de six pièces pour piano à quatre mains, dédiée à la fille d’une amie cantatrice ; la première est une berceuse (écouter). Terminons par Igor Stravinski et son Dodo, extrait de ses malicieuses Berceuses du chat (1916 : écouter).
Après le sommeil de l’enfant, les compositeurs s’intéressent à ses jeux. Robert Schumann, dans son Album pour la jeunesse (1848), évoque ses fougueuses cavalcades sur son cheval de bois (écouter). En 1871, Georges Bizet écrit une suite de 12 pièces pour piano à quatre mains, Jeux d’enfants ; la première s’intitule L’escarpolette (écouter), la quatrième Chevaux de bois (écouter) ; il en orchestrera cinq dont La toupie (écouter) et La poupée (écouter). En 1908, Claude Debussy écrit ses Children’s Corner, qu’il dédie « À ma très chère Chouchou… avec les tendres excuses de son père pour ce qui va suivre » ; la troisième de ces six pièces pour piano est une Sérénade à la poupée qui, comme on sait, est le jeu préféré des filles (écouter). On a aussi une Balançoire dans les Sports et Divertissements du malicieux Erik Satie (1914 : écouter).
Fini de jouer, au travail ! Nombreux sont les compositeurs qui ont écrit des pièces spécialement destinées à l’exercice des instrumentistes en herbe : Johann Sebastian Bach compose le Klavierbüchlein pour la formation de son fils Wilhelm Friedman qui se révèle très doué ; dans ce livre, on trouve notamment les 9 premiers préludes du Clavier bien tempéré ainsi que les Inventions et sinfonies, BWV 772–801 (rechercher sur YouTube). Tous les jeunes pianistes connaissent les sonatines de Muzio Clementi tel l’opus 36 n° 1 (1797 : écouter). Bien d’autres compositeurs ont écrit pour les petites mains. On a déjà parlé de l’Album pour la jeunesse de Robert Schumann. Plus près de nous, Bela Bartok compose en 1909 Pour les enfants, deux cahiers de pièces dédiées aux jeunes pianistes ; elles sont classées par degré de difficultés (écouter les 3 premières). De son côté, Serge Prokofiev écrit pour les jeunes pianistes ses Douze pièces enfantines (1945) dont est extraite cette Marche (écouter).
Après le travail, les belles histoires : en 1892, Piotr Ilitch Tchaïkovski compose le ballet Casse-noisette : c’est un conte de Noël mettant en scène, bien entendu, des enfants (écouter la Danse de la fée Dragée). De Serge Prokofiev, on connaît le célèbre Pierre et le loup, conte musical destiné à enseigner les instruments de musique aux enfants (1936 : écouter) ; mais il a écrit de nombreuses autres pièces inspirées par l’enfance comme Le Vilain Petit Canard (1914), autre conte musical, et souvent ce qui reste d’enfant en lui marque son œuvre de traits cocasses (écouter la Marche bien peu militaire extraite de l’L’Amour des trois oranges, et écouter le début de la suite de l’imaginaire Lieutenant Kijé). Vous trouverez une liste plus importante des contes et récits mis en musique par Debussy, Ravel, Stravinsky, Poulenc ou autre dans notre dossier Par quoi commencer pour écouter du classique.
Terminons ce chapitre consacré à l’univers des enfants avec des musiques qui leur empruntent leurs jouets. Il y a d’abord La symphonie des jouets qu’on a longtemps attribuée à Leopold Mozart mais qui serait en réalité du moine bénédictin Edmund Angerer : l’orchestre classique y est accompagné d’accessoires tels que : un appeau-coucou, un appeau-caille, un sifflet à eau-rossignol, une trompette-jouet à une note, une crécelle-hochet et un tambour d’enfant (écouter). Et puis, moins connu, il y a ce petit piano pour enfants, le Toy piano, dont certains compositeurs font une utilisation un peu ironique : écouter ce document (4mn) enregistré sur France musique.
Après l’enfance, vient l’adolescence et les premières amours. Hector Berlioz l’illustre de merveilleuse façon dans son Roméo et Juliette où il évoque des effusions passionnées (écouter). Les scènes d’amour sont fréquentes à l’opéra mais c’est sans conteste Richard Wagner qui détient le record de la plus longue scène d’amour. L’amour mène naturellement au mariage dont la cérémonie ne se conçoit pas sans marche nuptiale. Celle que Richard Wagner compose pour le début de l’acte 3 de Lohengrin (1848) est connue (écouter). Mais la marche nuptiale la plus célèbre reste celle de Felix Mendelssohn-Bartholdy, composée comme musique de scène pour Le Songe d’une nuit d’été (1843 : écouter).
La mort est omniprésente dans la musique religieuse : difficile de lister toutes les œuvres qui illustrent la mort du Christ (Oratorios, Stabat Mater…) ainsi que les nombreux Requiems dont le plus connu est celui de Mozart. On citera simplement le génial Crucifixus que Bach a inclus dans sa Messe en si mineur (1714 : écouter). Il y a aussi beaucoup de morts déchirantes dans la musique profane. Citons en premier le douloureux Lamento de Didon dans l’opéra Didon et Énée composé par Henri Purcell en 1689 (écouter). Pour le Lied La jeune fille et la mort (1817), Schubert compose une mélodie (écouter) qu’il réutilisera dans le second mouvement de son Quatuor à cordes no 14 (1824 : écouter). Parmi toutes les marches funèbres, la plus célèbre est sans conteste celle de Frédéric Chopin, qui donne le ton à tous les deuils importants (écouter). En fait, c’est le mouvement lent de sa Sonate pour pianono 2 (1839 : écouter). L’œuvre de Ludwig von Beethoven comporte de nombreuses marches funèbres ; citons seulement celle de la 3e symphonie (1804 : écouter). Il faut aussi citer la grandiose marche funèbre que Richard Wagner introduit dans L’Anneau du Nibelung pour pleurer la mort de son héros Siegfried (rechercher sur Youtube). Un glas lugubre sonne dans Funérailles, pièce composée par Franz Liszt en 1849 (écouter).
Raconter en musique toute une existence, c’est le but visé par Franz Liszt dans son poème symphonique Du berceau à la tombe (1882 : écouter quelques épisodes). C’est aussi ce que cherche Richard Strauss dans Une vie de héros (1899 : écouter quelques épisodes). En 1933, Serge Prokofiev compose pour le film Lieutenant Kijé une musique sarcastique qui illustre la vie imaginaire d’un militaire inventé (suite à une erreur) par la bureaucratie russe (écouter quelques épisodes).